Depuis plus de trois ans les agriculteurs de Grand Mont, notamment les riziculteurs dans la Plaine des Gonaïves, font face à une sécheresse sans précédent. Conséquences, ces derniers éprouvent de grandes difficultés à cultiver leurs rizières. Pratiquant une agriculture tributaire de la pluie, qui ne tombe que rarement à cause du changement climatique, les rizières de Grand Mont sont transformées en une zone désertique.
Cet après-midi, le vent souffle fort sur Pont Gaudin. Mais depuis plus de trois ans, les rizières de Saint Jean Bien-aimé ne reçoivent aucune goutte d’eau. La sécheresse est telle, le sol est fendu en petits carreaux sous les pieds de ce père de huit enfants. Il observe avec stupéfaction ses rizières complètement abandonnées, qui pourtant trois ans auparavant était couvert de riz. Le canal qui alimentait ses terres est complètement à sec. Dans ce contexte, difficile pour le sexagénaire de nourrir sa famille. « Toutes ces terres étaient couvertes de riz jusqu’au coin de la maison, tout a été perdu à cause de la sécheresse, confie Bien-Aimé. Le canal qui alimentait nos terres est à sec depuis des années. J’avais fait énormément de sacrifices et de dépenses. J’avais contracté des prêts pour pouvoir travailler la terre mais en vain. Je ne sais plus quoi faire. C’est fini pour nous dans la localité. L’agriculture était notre seul espoir maintenant la pluie ne tombe plus donc il n’y a plus d’eau. Seulement Dieu qui peut nous aider. »
A quelques mètres, Hélène Dorsainvil, elle, n’attend pas Dieu. Pour nourrir ses sept enfants et ses huit petits-enfants, elle tente avec beaucoup de peine de cultiver de la patate et du maïs. À côté de sa petite parcelle, elle a creusé un puits pour pouvoir tirer de l’eau afin d’arroser ses plantes. Malheureusement, l’eau tarit après seulement une semaine. Désormais, elle doit utiliser un récipient pour aller en chercher à quelques kilomètres. Ne trouvant pas assez d’eau nécessaire à leur développement, les pieds de maïs et de patates sont rachitiques et commencent même à perdre leur couleur verte. Hélène craint d’avoir fait tous ces efforts pour rien.
« Lorsqu’on repique le riz on ne trouve pas d’eau pour les arroser, explique Madame Dorsainvil. On meurt de faim, on n’a pas d’autre chose à faire parce c’est notre unique production. Ça fait plus de trois ans qu’on ne peut rien faire. Même cette petite plantation de maïs sur laquelle je comptais pour assurer ma survie ne trouve pas de pluie. Je suis allée chercher de l’eau pour l’arroser mais ça ne suffit pas. C’est ici que je passe presque toute ma journée. Après avoir mis les graines de maïs en terre, je suis allée puiser de l’eau juste là-bas pour les arroser jusqu’à ce qu’elles germent et arrivent à ce niveau. Alors que les plantes arrivent à maturité, je continuais à aller chercher de l’eau sur ma tête pour pouvoir les arroser. Maintenant je suis à bout, j’en peux plus. »
Quelques jours plus tard, Hélène Dorsainvil a perdu ses plantations à cause de la sécheresse. Elle n’est la seule. Après avoir perdu sa récolte de riz au mois de janvier de l’année dernière, Edouard Jules a semé du maïs, du petit mil, des légumes et de la pastèque dans ses rizières. Encore une fois, il a tout perdu… ou presque. Cet après-midi, il nous conduit dans son champ. On n’y voit que quelques pieds de petit mil et de maïs qui essaient tant bien que mal de résister à la sécheresse. Il ne mise que sur la pluie pour sauver sa plantation de maïs.
En temps normal, en cette période du mois de mars, les agriculteurs de Grand Mont auraient dû être en train de récolter de la patate, du maïs et des légumes avant de s’adonner à la préparation des terres pour le repiquage de riz. Malheureusement, depuis des années tout a changé à cause de cette sécheresse prolongée.
Depuis des décennies, Haïti est confronté aux dérèglements climatiques. Avec le phénomène El Niño qui fait augmenter la température, il est de plus en plus difficile que la pluie tombe. Pour pallier le problème, il est temps que les autorités investissent dans de l’énergie solaire, conseille l’ingénieur-agronome Jimmy Délisca. Cet après-midi-là, il visite les rizières de Pont Gaudin. Soudain, s’arrête et s’accroupit devant un puits d’environ deux mètres de profondeur creusé par un riziculteur en quête d’eau pour arroser quelques pieds de calalou gombo à peine sortis de terre. Mais, le puits est complètement à sec. « L’eau est peut-être à un niveau très bas. A l’aide des pompes et des dispositifs de la part des autorités pour installer des pompes solaires afin de monter l’eau pour permettre aux agriculteurs d’arroser leurs plantes. Parce que le riz est très exigeant en eau », explique l’ingénieur-agronome.
En Haïti, il y a deux types d’agriculture: une agriculture pluviale dépendant entièrement des fortes précipitations pour son approvisionnement en eau, et une agriculture irriguée qui exige des mécanismes artificiels plus développés pour arroser les terres. Depuis longtemps, les canaux d’irrigation sont les plus populaires. S’étendant sur 8000 hectares, la plaine des Gonaïves est l’un des greniers du département Artibonite. Sous l’administration de l’ex-président Jovenel Moïse, une trentaine de pompes solaires y ont été installées. A Grand Mont, la zone rizicole de 950 carreaux de terres, ce n’est que l’année dernière que seulement deux pompes solaires y ont été installées. Problème, sur les 950 carreaux seulement environ deux peuvent bénéficier de quelques gouttes d’eau sporadiquement. Insuffisant donc pour la culture rizicole.
Ronel Paul