La vente-signature de Ijans, numéro 2 de la revue de photographie documentaire Fotopaklè du Kolektif 2 Dimansyon (K2D), est prévue le 28 avril prochain au prix de 1 500 gourdes au café restaurant Tap tap à Port-au-Prince.
Puisque le temps presse, K2D nous offre Fotopaklè II sous un format Bible. « Il est minuit moins deux », peut-on lire dans la quatrième de couverture, une façon de mettre l’emphase sur l’urgence que présente l’environnement. « Dans les discussions que nous avions eues, les expressions “fin du monde et apocalypse” revenaient sans cesse. Nous avons donc adopté un format de revue fait comme une Bible », explique Pierre Michel Jean, réalisateur et président de K2D.
Selon le photojournaliste, tenir ces mots n’était pas exagéré, car, après des années de travail, les membres avaient constaté la fragilité de ce que nous avons comme territoire. « Nous sentions que nous n’étions pas loin de la ligne de rupture. Donc, la préservation de la nature paraissait être pour nous le seul dogme auquel nous pouvions/devions souscrire », poursuit M. Jean, précisant que « la Bible est l’objet qui dit l’apocalypse et le symbole d’une certaine forme de dogme ».
Tout a été fait pour que cela soit le plus ressemblant possible : un reluire cuir vert, des lettres dorées, etc., dit-il. En faisant ce numéro, le souci premier de l’équipe était d’informer les gens qui en savent peu sur ce sujet, mais aussi de laisser une œuvre plus ou moins complète – photographies des heures que nous vivons – à la génération postérieure.
« Nous serons déjà très heureux si notre revue parvient seulement à indexer pour d’autres (chercheurs, politiques, société civile, ONG, Organisations internationales, etc.) les torts qui sont faits à l’environnement haïtien ou qu’elles leur permettent d’aller plus loin que nous. Que cela soit dans le travail ou dans les mesures qui doivent être prises », souhaite le président de K2D.
Notre rapport avec notre territoire
L’être humain développe un mauvais rapport avec son habitat, ceux et celles qui habitent la République d’Haïti n’en sont pas exempts.es. La Forêt des pins qui s’étend sur Haïti et la République dominicaine est menacée par la déforestation humaine, notamment du côté haïtien.
Les conséquences du déboisement sont néfastes pour notre environnement. Dans le 7e titre de la revue, Isolé, on peut lire ce qui suit dans un article, signé Édine Célestin, qui joint les photographies de Valérie Baeriswyl prises à la Forêt des pins : « Le déboisement n’est pas sans conséquence sur l’environnement et sur la population ». La problématique de la gestion de déchets pour la Forêt est aussi évoquée dans le texte. « Il n’existe aucune mesure de gestion de déchets mise en place par les autorités locales pour la forêt ».
« Sur le plan économique, le déboisement engendre la chute des systèmes de production agricole, le chômage pour les agriculteurs et l’accroissement de la pauvreté », continue Édine Célestin, journaliste et membre de K2D. Par ailleurs, la photojournaliste écrit : « […] Elle [la déforestation] paraît pourtant nécessaire à la survie immédiate de ses habitants, dont la situation est tragique ». La problématique de la déforestation ne peut donc se poser sans mentionner des alternatives économiques.
État des lieux sur le plan environnemental et climatique
Cette nouvelle revue nous présente l’environnement [haïtien] dans tous ses états. Les photojournalistes ont utilisé leurs caméras pour mettre en exergue le danger auquel nous sommes exposés. « Mise à nu/Toutouni » est le premier titre trouvé dans les reportages-photos et textes de la revue au format biblique. On y trouve des clichés pris après l’ouragan Matthew qui a saccagé la Grand’Anse, les Nippes et le Sud du pays au début du mois d’octobre 2016. « La ville de Jérémie, grenier de la Grand’Anse, a été sévèrement touchée », peut-on lire dans le texte qui introduit ce reportage photo. « L’agriculture, le logement et l’éducation ont terriblement souffert et les conséquences de la catastrophe persistent », continue l’auteur qui essaie de montrer comment l’ouragan a fragilisé le Grand Sud.
Le réchauffement climatique se trouve parmi les plus grands débats du monde. Haïti fait partie des pays les plus vulnérables de la Caraïbe face aux changements climatiques, parce que c’est à la fois un pays pauvre et insulaire. « Bon nombre de ces mesures [prises pour faire face aux effets du changement climatique] sont déjà prônées depuis longtemps en Haïti, mais sont encore très mal mises en place pour de nombreuses raisons. », remarque Claude Patrick Millet dans son analyse intitulée : « Haïti et le changement climatique ».
Parcours de ce travail
IJANS est un travail réalisé sur quatre années par treize contributeurs.trices et des spécialistes de certaines questions environnementales qui ont proposé des textes inédits pour ce numéro. Les contributeurs.trices, donc les membres de Kolektif 2D qui ont participé à ce numéro arrivaient avec leurs idées de reportages. Nous en débattions ensemble, ensuite le/la concerné.e envoyait par mail un synopsis du travail qu’il/elle voulait faire. Si le synopsis est accepté par le collège éditorial – responsable de l’édition – qui est composé de membres de K2D et Gaël Turine (Photographe belge, consultant édition sur les deux numéros de Fotopaklè), le/la concerné.e envoyait par la suite un budget et un programme de production.
La production de reportage photo est un constant va-et-vient entre le terrain et la salle d’édition. Donc, toutes les deux semaines, le/la photographe présente – pour avis – ces travaux à ce même collège éditorial. Le reportage est estimé complet quand il n’y a plus rien d’autre à montrer du sujet. Certains travaux photos sont faits à 4 mains (photos et textes), d’autres sont légendés et certains autres se suffisent à eux-mêmes. L’édition finale des photos est collégiale. Pour les textes, c’est le rédacteur en chef de la revue Milo Milfort qui s’en charge, à en croire les propos de Pierre Michel.
Modification de format, de Frontière (s) à Urgence(s)/Ijans
La première revue de Fotopaklè dénommée Frontière(s) avoisinait la dimension d’une pancarte. L’idée qui a prévalu en créant Fotopaklè, c’était de faire un objet dynamique en fonction des thématiques. Frontière (s), le premier numéro était immense. Il traitait de la crise migratoire à la frontière haïtiano-dominicaine entre 2015 et 2016. Nous voulions que la revue Frontière(s) soit faite comme une manifeste pancarte, qu’elle soit pour le porteur assez embarrassante comme chose à tenir. « Qu’il soit dans l’impossibilité de la cacher. Aussi, l’idée était que le lecteur sente le poids des corps en regardant les images, qu’il puisse s’associer aux personnes et à la réalité qu’elles vivaient à cette époque », explique le président de K2D.
Pour Urgence(s), dans les discussions que nous avions eues les expressions “fin du monde et apocalypse” revenaient sans cesse. Ce n’était pas exagéré de notre part de tenir ces mots. Après des années de travail, nous avions perçu la fragilité de ce que nous avions comme territoire. Nous sentions que nous n’étions pas loin de la ligne de rupture, poursuit le photojournaliste qui croit que la préservation de la nature paraissait être pour nous le seul dogme auquel nous pouvions/devions souscrire. « Nous avons donc adopté un format de revue fait comme une Bible. L’objet qui dit l’apocalypse et symbole d’une certaine forme de dogme. Tout a été fait pour cela, soit le plus ressemblant, que possible, un reluire cuir vert, des lettres dorées, etc. », conclut le réalisateur.
Woo-Jerry Mathurin