Le manque de services publics à Port-de-Paix, en Haïti, a engendré une crise persistante dans la ville côtière, où les habitants luttent pour entretenir leurs maisons entre les inondations constantes.
Reporter Byline: Jusly Felix, Global Press Journal Haiti.
Photo Credit: Jusly Felix, Global Press Journal Haiti.
Cette histoire a été initialement publiée par Global Press Journal.
PORT-DE-PAIX, HAITI — La maison d’Anélie Ulysse à Nan Palan, un petit quartier côtier à proximité de la rivière Port-de-Paix, contient de nombreux souvenirs. Elle y a vécu avec son défunt mari et ses cinq enfants pendant plus de deux décennies.
Mais ces jours-ci, sa maison autrefois pleine d’activités est en grande partie silencieuse; elle vit seule dans sa maison au toit de tôle. Deux de ses cinq pièces sont à présent trop boueuses et donc inaccessibles à cause d’inondations à répétition.
Dans le quartier d’Anélie, les maisons sont proches les unes des autres, certaines surélevées pour éviter les inondations. Des marchandes, généralement des habitants du quartier, vendent des plats préparés juste à l’extérieur de leurs maisons. Elle habite à deux maisons de la rivière de Port-de-Paix, qui porte le nom de la ville qu’elle traverse. Cette ville côtière manque de système d’égouts et de traitement des eaux usées. La zone est également dépourvue de ramassage des ordures, et les déchets sont devenus un fléau pour ce port du nord-ouest, bloquant souvent le débit de la rivière, et entraînant des inondations lors de fortes pluies, affectant des centaines de familles voisines.
Incapable de déterminer qui est responsable du nettoyage des cours d’eau dans leur région, un groupe de résidents se réunit régulièrement pour ramasser les ordures – mais avec la déforestation et le changement climatique qui entraînent des pluies plus fortes et des inondations plus graves pendant les saisons pluvieuses, les membres ont l’impression de mener une bataille perdue d’avance.
Anélie compte sur la gentillesse de ses voisins pour l’aider à nettoyer sa maison après les inondations. Sa fille et son gendre partageaient la maison avec elle, mais après le décès de son gendre à la suite d’une courte maladie, sa fille ne pouvait plus vivre dans la maison et a emménagé chez les parents de son défunt mari. Anélie n’a pas cette option.
« Ici c’est chez moi. Je n’ai nulle part où aller, » dit cette femme de 62 ans. « Ce dont j’ai plus peur, c’est un éventuel envahissement de l’eau pendant la nuit. »
La dernière fois que sa maison a été inondée, c’était en juin 2022, au début de la saison cyclonique annuelle d’Haïti. Avec l’aide de ses voisins, elle a pu évacuer l’eau de sa maison, mais comme deux des cinq pièces de sa maison ont un sol en terre, elles sont maintenant trop boueuses pour être utilisées.
« L’une des vulnérabilités de la ville de Port-de-Paix en termes d’inondation est l’état des petits bassins versants qui sont colonisés de manière anarchique », a fait savoir l’ingénieur agronome Rethone José, gestionnaire de risque, responsable de la direction départementale du Nord-Ouest de la Protection Civile, basé à Port-de-Paix, qui est responsable de la prévention, de l’atténuation et de la préparation des catastrophes dans la région. Il dit que de nombreux bassins versants d’Haïti, les zones de terre qui se déversent dans une rivière commune et sont essentielles pour réguler le bon débit des rivières, ont été endommagés en raison de la déforestation.
La rivière de Port-de-Paix prend sa source dans le bassin versant de La Croix Saint Joseph, dans la troisième section communale de Port-de-Paix. Rethone dit que c’était autrefois une zone protégée, mais qu’elle devenu maintenant une zone résidentielle. « Au cours des 20 dernières années, il y a eu une dégradation accélérée du bassin », dit-il. « C’est une dégradation liée aux activités humaines, » ajoute-t-il, faisant référence aux maisons qui ont été construites sur les terres du bassin versant.
Mais ce n’est pas seulement l’érosion d’importants bassins versants qui rendent la rivière plus vulnérable aux inondations, mais aussi l’évolution des conditions météorologiques. Le changement climatique a entraîné des pluies plus abondantes, et pour les résidents à proximité de cette rivière, la saison des pluies est encore plus dangereuse que la saison cyclonique.
« Généralement, dépendamment du niveau de crue, on estime à environ deux cents (200) familles inondées dans la partie avale de la rivière, » dit Rethone.
Anélie dit que la pire inondation s’est produite en 2004, lors du passage du cyclone Jeanne. Elle a tout perdu chez elle et a dû recommencer à zéro. Mais les efforts pour restaurer sa maison sont continuellement entravés par les inondations récurrentes, sans aucune aide des autorités pour nettoyer ou reconstruire.
« Ce sont les voisins qui m’aident toujours à tirer l’eau de la maison », dit-elle.
C’est ce manque d’assistance qui a incité les habitants de Nan Palan à créer le Club des Jeunes Volontaires Progressifs (CJVP). Le groupe de 20 personnes se réunit régulièrement pour nettoyer les déchets de la rivière et aider leur communauté à se remettre des inondations récurrentes. Mais en l’absence de ramassage local des ordures, les bénévoles qui nettoient les ordures de la rivière les déversent sur une plage voisine.
« Nous savons que ce n’est pas bien, mais les autorités locales ne donnent pas un espace pour déverser les déchets, » déclare Benley Joseph, membre du CJVP. « Nous sommes obligés de les jeter sur le littoral. »
À mesure que les inondations deviennent plus fréquentes, le travail de nettoyage du groupe devient plus difficile. « La mairie ne nous a jamais secouru, même après les avoir solliciter, » raconte Kermly Joseph, membre du même groupe.
Des organisations telles que le Programme des Nations Unies pour le développement, l’Agence des États-Unis pour le développement international et le bureau de la délégation départementale du Nord-Ouest d’Haïti ont tenté de nettoyer la rivière, mais tant que l’Etat n’aura pas pris la responsabilité de nettoyer régulièrement la rivière, le problème continuera de s’aggraver, selon Rethone.
« La rivière est devenue comme une chèvre à plusieurs propriétaires, » dit Rethone. « Elle est restée sans aucun service et meure sous le soleil. La seule victime est la population. » Rethone estime que la responsabilité de la rivière incombe soit à la Direction Départementale de l’Environnement ; au ministère des Travaux publics, des Transports et des Communications ; ou à la mairie de la ville.
Les trois agences n’ont pas répondu aux nombreuses demandes de commentaires.
Selon Rethone, malgré les efforts réalisés pour faciliter l’écoulement naturel de la rivière – le PNUD a financé un mur de soutènement il y a environ une décennie – avec des tonnes de déchets dans la rivière, ces travaux n’ont plus aucune valeur. « Il faut toujours s’assurer que la rivière soit curée, » dit-il.
Anélie veut réparer sa maison et redémarrer son commerce de vente de produits alimentaires comme des fruits et du riz, qu’elle a fermé après la mort de son gendre. Cette grand-mère est non seulement sans cesse en phase de réparation et de recouvrement après des inondations récurrentes, mais elle doit également se remettre des douleurs infligées par ces catastrophes, notamment la mort de son frère après que le cyclone Jeanne ait frappé sa maison en 2004.
« Ce sont ces chagrins qui me tueront, » dit-elle.
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