Des 300 millions d’arbres abattus chaque année, plus de 60 % sont destinés à la production du charbon. Le bois intervient dans la production de meubles, de produits pour la construction et l’artisanat et comme énergie de combustion (bois de feu ou bois de chauffe) jusqu’à représenter entre 300 et 400 millions de dollars de revenu annuel en Haïti.
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La structure énergétique d’Haïti dépend à 75 % de la production de bois. Au milieu des années 80, seulement une vingtaine d’espèces de bois étaient destinées à la coupe pour la production de charbon. Alors que les agriculteurs commençaient à percevoir moins de revenus en raison de la dégradation des terres arables, toutes les espèces pratiquement sont devenues des espèces pouvant être coupées: Campêche, Gayac, Manguier et autres arbres fruitiers ne sont pas épargnés. Des 300 millions d’arbres abattus chaque année, plus de 60 % sont destinés à la production du charbon. Le bois intervient dans la production de meubles, de produits pour la construction et l’artisanat et comme énergie de combustion (bois de feu ou bois de chauffe) jusqu’à représenter entre 300 et 400 millions de dollars de revenu annuel en Haïti.
Le secteur Bois-Energie représente ainsi plus de 10 % du PIB et concerne directement plus d’un million de personnes, selon les précisions de l’ex-ambassadeur haïtien au Japon, Marcel Duret. «Non seulement le secteur de la production de charbon est la plus importante industrie en termes de chiffres annuels, mais aussi les profits qu’il génère sont plus ou moins équitablement répartis entre les différents acteurs de cette chaîne », a-t-il dit.
La coupe systématique de bois est l’une des causes de l’érosion, de la calcination des terres et de la perte d’éléments de la biodiversité. Cet état de fait vient de s’intensifier après le passage de l’ouragan Matthew, dont le paysage forestier a été l’une des grandes cibles.
Le bois, une source d’énergie incontournable pour les ménages haïtiens
Le bois est l’un des produits les plus répandus sur les marchés mondiaux et la source d’énergie disponible la plus importante quantitativement, devant le vent, l’eau et le soleil. Haïti n’échappe donc pas à cette réalité quasi mondiale.
Quoique plus coûteux que les autres sources d’énergie de cuisson (kérosène, briquettes de charbon ou briquettes cellulosiques), le charbon de bois s’est rapidement imposé, étant plus accessible et le réchaud utilisant le charbon de bois étant moins cher qu’un four électrique ou à propane ou un réchaud à efficience améliorée. Le réchaud traditionnel à trois pieds coûte moins de 150 gourdes.
Le divorce avec le bois, trop cher pour Haïti?
Faire passer à moins de 30 % le poids du charbon de bois dans l’assiette énergétique nationale, aucun pays d’économie de taille proportionnelle à Haïti n’est parvenu à atteindre cet objectif, à l’exception de la République Dominicaine avec Trujillo et Cuba avec Fidel Castro. Le fait que ces deux exemples ont en commun un régime quasi totalitaire traduit le fait que l’économie haïtienne, en situation de démocratie n’est pas à même de financer cette transition énergétique. Il faudrait à Haïti pratiquement 500 millions de dollars verts pour une économie plus verte, soit la moitié de la valeur monétaire de sa balance des paiements pour financer ce changement. Et il faudrait 500 millions pour financer les éléments accompagnant ce changement. Dans l’état actuel des choses, Haïti a besoin d’au moins un milliard de dollars pour changer ce paradigme, (le tiers de son budget national) tel est le défi financier d’une transition énergétique réduisant la consommation de bois.
« Il est économiquement impossible de remplacer les ressources en bois disponibles par des produits pétroliers, cela reviendrait à dépenser la moitié de notre balance des paiements, près de 500 millions de dollars », martèle le spécialiste en énergie, René Jean Jumeau.
Au-delà des enjeux économiques, la problématique des solutions envisageables présente deux enjeux fondamentaux : la proportion face au degré de déforestation enregistré et la massification et l’accessibilité de l’offre des produits substituables au charbon de bois ou offrant la possibilité d’utiliser moins de bois ; d’où l’idée d’intégrer à ses efforts une campagne soutenue de civisme environnemental et de marketing très poussé.
Des solutions envisageables, certains réclament une véritable volonté politique, d‘autres ne sont peut-être pas à notre portée. Le spécialiste en inventaire forestier, l’agronome Odré Valbrun, pense que les grands projets de reforestation sur environ cent mille hectares devraient aider à contrebalancer le niveau très élevé de la coupe de bois et qu’un organisme national de gestion des forêts devrait voir le jour pour rendre efficient l’effort de reforestation. Schultz Cazir, le président d’une organisation écologique (SUCDEV) prône l’implantation de bosquets énergétiques (petites forêts dont les arbres sont destinés uniquement à la coupe de bois).
L’option de production massive de charbon minéral à été étudiée a un certain moment par l’ex-ambassadeur d’Haïti au Japon, Marcel Duret. (Selon lui, des mines de charbon sont en grande quantité à Maïssade – 8 millions de tonne) .Ce charbon produit sans bois, serait mélangé à dix pour cent avec de l’anthracite importé de la Colombie ou d’autres pays sud-américains.
« l’État doit permettre l’intensification des moyens alternatifs à l’utilisation du bois en les rendant accessibles aux ménages à faible revenu. Ces efforts devront venir en support aux investissements initiaux nécessaires à leur fabrication ».
Mais le plus important, ce sont les incitatifs aux changements et l’accompagnement systématique, fait savoir le spécialiste en énergie, René Jean Jumeau. M. Jumeau estime que « l’État doit permettre l’intensification des moyens alternatifs à l’utilisation du bois en les rendant accessibles aux ménages à faible revenu. Ces efforts devront venir en support aux investissements initiaux nécessaires à leur fabrication ».
Les petits producteurs de charbon doivent également être encadrés. Marcel Duret propose en ce sens « des plantations intercalaires, c’est-à-dire que la moitié des terres cultivées serait réservée à la plantation de bois pour la production de charbon».
En rappelant que la production de briquettes à grande échelle aurait des vertus transversales : créer des emplois, nettoyer les rues et recycler, car les différentes briquettes peuvent être fabriquées via les poussières de charbon-qui représentent 5 à 10 % d’un sac de charbon- ou avec des résidus solides comme le papier (expérience de production de briquettes cellulosiques par Fuego del sol, entreprise basée en Haïti) ou des résidus organiques (carcasses de canne ou de banane ou de noix de coco) ;Il est à noter qu’Haïti a pris conscience que les enjeux de passer d’un secteur énergétique usant d’un pourcentage plus faible d’énergies ligneuses fragilisera peut-être l’économie et renforcera la dépendance énergétique d’Haïti vis-à-vis de l’importation des produits pétroliers.
Ce travail est réalisé avec le support de l’Association pour le Climat, l’Environnement et le Développement Durable (ACLEDD) grâce à l’apport financier de Earth Journalism Network (EJN).
Cliff Coulanges
cliffcoulanges@yahoo.fr
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