La situation des Aires Marines Protégées en Haïti
Les aires marines protégées sont reconnues de nos jours comme étant un outil fondamental pour parvenir à la conservation de la diversité biologique marine. Mais les fonctions, les rôles des AMP vont, bien sûr, au-delà de leur simple et essentiel rôle pour la conservation. Les questions qu’on peut légitimement se poser sont les suivantes : dans quel état sont les aires marines protégées d’Haïti? Jouent-elles vraiment leurs rôles ? Quelle considération faut-il leur accorder ?
En 2013, le gouvernement haïtien a créé un réseau de neuf aires marines protégées dans le pays, et jusqu’en décembre 2019, ces AMP restent purement virtuelles, ne représentant plus guère qu’un simple trait sur une carte. Enfin, c’est la gouvernance de ces territoires qui est mise en cause, en particulier leur incapacité à s’attirer le soutien des populations locales directement impactées par leur existence, ce qui rend d’autant plus difficile leur protection.
Comme on peut l’observer sur la carte, les AMP sont réparties sur les grands axes côtiers du territoire national, ce qui laisse entrevoir une sorte de représentativité géographique équilibrée de ces structures. Pourtant, la représentativité des écosystèmes au sein de ces APM est défaillante : faute de moyens financiers – constituant le nerf de la guerre – et de bases scientifiques solides sur de longues périodes. À cela s’ajoute dans un premier niveau, les difficultés rencontrées par les gestionnaires sur le terrain dans la mise en œuvre effective : du plan de gestion de ces parcs, de développement des activités en économie verte dans la zone tampon (vétiver, noix de cajou, pêche, mangue, etc.), de la mise en place d’un système de gestion de la pêche, de la gestion des micro-bassins versants (renforcement des ravines avec le bambou) et aménagement antiérosif des terroirs de vétiver et de la restauration des écosystèmes clés (mangroves, littoral/plage). De facto, ce réseau d’AMP est non fonctionnel. Dans un second niveau, l’Agence Nationale des Aires Protégées n’arrive toujours pas à accomplir sa mission consistant à :
- coordonner la préparation et la mise en œuvre du Plan national de Gestion des Aires protégées,
- protéger la diversité biologique in situ et ex situ,
- élaborer et approuver les plans d’aménagement des AMP,
- étudier les espèces animales et végétales au niveau des AMP,
- élaborer des règlements d’accès aux AMP et aux ressources biogénétiques,
- intégrer, de manière responsable, les populations et les collectivités territoriales dans la gestion des AMP sous sa juridiction.
Enfin, en absence de ces outils elles sont incapables d’atteindre leurs objectifs de conservation de la diversité biologique, encore moins leur rôle d’allié dans le combat contre les changements climatiques. Les conséquences qui découlent de cet état de fait sont peut-être tardives mais elles se feront sûrement ressentir.
Haïti, mauvais élève
Avec une superficie de 173 569 hectares mise sous protection, soit 6,25% du territoire national, le pays arrive en bas du classement dans la Caraïbe.
Ce chiffre est très loin des objectifs d’Aichi de 2010 pour la biodiversité, dont le but stratégique est que les pays signataires du protocole s’engagent à améliorer l’état de la biodiversité en sauvegardant les écosystèmes, les espèces et la diversité génétique, comme stipulent les objectifs C.11 et 12 :
Objetif C.11. « D’ici à 2020, au moins 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures et 10 % des zones marines et côtières, y compris les zones qui sont particulièrement importantes pour la diversité biologique et les services fournis par les écosystèmes, sont conservées au moyen de réseaux écologiquement représentatifs et bien reliés d’aires protégées gérées efficacement et équitablement et d’autres mesures de conservation efficaces par zone, et intégrées dans l’ensemble du paysage terrestre et marin. »
Objectif C.12. « D’ici à 2020, l’extinction d’espèces menacées connues est évitée et leur état de conservation, en particulier de celles qui tombent le plus en déclin, est amélioré et maintenu. ».
Conclusion et recommandations
Nous somme en situation d’urgence climatique planétaire : aucun gouvernement, aucun pays ne peut rester en marge des efforts mondiaux qui se font dans le but de rectifier la trajectoire du destin de la planète, tout en corrigeant les multiples préjudices causés à l’environnement au cours de plusieurs siècles d’insouciance et d’irresponsabilité. Dans cette véritable guerre mondiale contre les changements climatiques, toutes les armes et tous les bras doivent être utilisés. Les AP constituent une arme polyvalente et efficace ; on ne saurait par conséquent les oublier ou les négliger. Les AMP d’Haïti, quoique gérées de manière calamiteuse, sont porteuses d’espoir et sont par conséquent pleines d’avenir dans cette lutte que l’humanité devra poursuivre tout au long de son existence car des générations à venir en dépend. En ce sens, Haïti doit renforcer son système national d’AMP tout en prenant en compte les normes de gestion et les objectifs mondiaux y relatifs.
Aujourd’hui, il faut aller plus vite qu’en 2010 en redoublant les efforts de mise en réseau, de renforcement de capacité et de communication afin, de faire en sorte que les performances des aires marines protégées soient à la hauteur. Pour cela on doit viser à :
– intégrer les AMP dans le champ des négociations climatiques et contribuer à leur gestion effective,
– sensibiliser la population locale et le public en général sur l’importance des AMP dans la lutte contre la machine infernale du -changement climatique et leurs contributions dans la conservation de la diversité biologique,
– former et sensibiliser les décideurs publics et privés aux enjeux océans/climat et le rôle des AMP dans l’atténuation des catastrophes naturelles au niveau des façades maritimes des villes côtières du pays,
– organiser la mise en œuvre nationale des traités internationaux ; un effort particulier doit être consenti en vue d’assurer la mise en œuvre nationale des traités internationaux de la mer signés et ratifiés par l’État haïtien (les objectifs d’Aichi) ;
– développer les connaissances scientifiques adéquates pour assurer leur mise en place, leur suivi et évaluation.
Pourquoi pas un centre de recherche ? L’Agence Haïtienne pour la Biodiversité (AHB), par exemple. Il faudra créer un mécanisme de coordination entre la Marine Haïtienne, le SEMANAH (Service Maritime National d’Haïti), l’ISPAN (Institut de Sauvegarde du Patrimoine National) et le Service des Pêches en intégrant les collectivités territoriales et la société civile
– Renforcer le cadre institutionnel, une fois que l’Agence Nationale des Aires Protégées (ANAP) soit devenue opérationnelle ;
– Renforcer les capacités de financement (plaidoirie pour accéder au fond vers du climat).
Nous publions cet article de deux universitaires haïtiens sur les Aires Marines Protégées en l’occurrence:
Samson JEAN MARIE, Etudiant finissant [Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, Département des Ressources Naturelles et de l’Environnement]
et Cadet CALEB, Etudiant finissant [Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, Département de l’Economie Rurale].