Le Programme d’appui à une gouvernance agricole inclusive (PAGAI) et le Konsèy Nasyonal Finansman Popilè (KNPF) organisent un atelier entre les institutions financières du Sud et de la Grand’Anse et les organisations paysannes de ces deux départements sur le financement des Exploitations agricoles paysannes (EAP) en Haïti, du 6 au 8 avril 2022, à l’Université publique du Sud aux Cayes (UPSAC). Cette activité se déroule autour du thème : « Pour un dialogue efficace entre les fournisseurs de services financiers et les exploitations agricoles paysannes. »
Constatant que les crédits se dirigent plus vers le commerce importé, le Programme d’appui à une gouvernance agricole inclusive (PAGAI) et le Konsèy Nasyonal Finansman Popilè (KNPF) décident d’agir pour que le crédit soit un outil de développement du secteur agricole. « D’un côté, nous veillons à ce que le crédit, en tant que capital, ne décapitalise pas les paysans. De l’autre côté, nous informons les bénéficiaires des conditions à respecter dans le système de financement. Les taux d’intérêt doivent être balancés », plaide Lionel Fleuristin, agroéconomiste et directeur exécutif du KNFP.
Le PAGAI et le KNFP jouent le rôle de médiation en facilitant une mise en relation équitable entre les fournisseurs de crédit et les dirigeants des organisations paysannes. L’atelier s’articule autour d’un dialogue bilatéral auquel les directeurs départementaux agricoles sont aussi invités à assister les échanges. Trois autres aspects sont considérés par les organisateurs: un aspect formatif ou pédagogique qui permet de donner des formations afin que les gens puissent comprendre les crédits rural et agricole ainsi que leur importance.
Également, un aspect informatif qui offre l’occasion aux deux parties d’informer l’une à l’autre de leurs activités respectives et de leurs expériences. Et un aspect revendicatif qui accouchera d’un manifeste des paysans pour les institutions de financement et l’État afin que ce dernier puisse informer des besoins des paysans et comment les [les contenus de ce manifeste] intégrer dans la politique agricole du pays.
« Ce sont les petites exploitations qui nourrissent le pays depuis toujours. En ce sens, à travers l’organisation de cet atelier, nous nous positionnons pour un type d’agriculture – en dépit du fait que les autres puissent continuer d’exister – afin de rendre les exploitations agricoles paysannes plus performantes », défend l’agroéconomiste, qui précise que plus de 60 % du temps de parole sont impartis aux exploitations agricoles afin de produire le manifeste suivant leurs propos.
Le secteur agricole négligé par les banques commerciales
« En dépit que les chiffres diminuent peu à peu, l’agriculture représente 20 % de notre richesse » , avance M. Fleuristin. Malgré le poids de l’agriculture dans l’économie haïtienne, force est de constater que les banques commerciales octroient peu de crédit au secteur agricole, notamment les paysans. Car seulement 5 % des bas revenus ont déclaré avoir obtenu un prêt d’un établissement financier formel, selon FINDEX, dans une enquête parue en 2011.
Selon le professeur Lionel Fleuristin, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce désert financier. « Premièrement, notre politique alimentaire n’est pas sans conséquences en cela. L’État a fait le choix de nourrir sa population à travers l’importation », critique le directeur du KNFP, qui croit que la politique du pays favorise le financement de produits importés. « Nos importations varient entre 600 et 800 millions de dollars par an. Des productions de notre agriculture se retrouvent parmi ces produits importés. C’est le cas du riz », poursuit M. Fleuristin qui continue de reprocher à l’État de faire le choix facile et risqué de l’importation.
« Deuxièmement, on ne finance pas ce qu’on ne sait pas », avance le professeur de crédit rural, qui remarque un manque de connaissance du secteur agricole auprès du secteur financier. Comme troisième facteur, M. Fleuristin souligne que le secteur agricole n’est pas assuré, car l’État n’investit pas dans des fonds de calamités. « Il [l’État] se contente de s’enorgueillir quand les campagnes agricoles sont réussies et que les productions augmentent et s’absentent durant les pertes », constate celui qui enseigne aussi le crédit agricole.
Comme dernier et quatrième facteur, c’est l’absence de banque agricole. M. Fleuristin évoque la Banque de crédit agricole (BCA) et la petitesse de son portefeuille de crédit par manque de moyens. Aussi, a-t-il mentionné la situation de la Banque nationale de développement agricole (BNDA) qu’il estime assez jeune pour déployer ses ailes dans le milieu de l’agriculture. « Les portefeuilles de crédit des banques ne dépassent jamais 1 % pour le secteur agricole, celles des microfinances, qui ne sont pas coopératives, ne dépassent pas 10 % », déplore le directeur du KNFP, plaidant pour un financement inclusif des exploitations agricoles.
Woo-Jerry Mathurin