Haïti Climat a reçu pour vous, le président fondateur du Festival Cinécolo-Haiti, Messerne Sagesse, afin de faire le bilan de la dernière édition du Festival Cinecolo, de parler des perspectives pour 2023 et de la crise environnementale et climatique en Haïti. « Nous avons déjà plein de choses qui se croisent dans nos têtes pour la 7e édition de CINECOLO. Donc, la septième édition de Cinécolo aura bel et bien lieu en 2023 dans l’un des dix départements géographiques du pays. Et nous promettons déjà des surprises à couper le souffle », a déclaré Messerne Sagesse.
Haïti Climat (HC): M. Sagesse vous venez de refermer la 6e édition du Festival Cinecolo-Haiti, pouvez-vous nous faire un retour sur ce que c’est Cinécolo-Haïti et avec quel sentiment avez-vous bouclé cette édition ?
Messerne Sagesse (MS) : Cinecolo-Haïti, en tant que festival, c’est d’abord un produit culturel porté par l’association (environnementale) Maison Verte d’Haïti. Premier festival international du film de l’environnement d’Haïti, Cinécolo-Haïti est une activité citoyenne qui s’engage à revigorer une pratique que nous avons perdue il y a des décennies au profit du pain quotidien.
Un engagement citoyen qui nous interpelle toutes et tous : la protection de notre environnement, notre source de vie et de bien-être. C’est pourquoi depuis 2015, nous organisons, chaque année, cet évènement ouvert et accessible à toutes les catégories sociales afin d’alerter la population haïtienne sur la dégradation environnementale d’Haïti qui menace notre existence et celle des générations futures. Sur ce point, je vous assure que cette édition de Cinécolo a été bouclée sur une note positive qui nous donne l’envie de continuer malgré les difficultés.
En d’autres termes, nous nous sentons habités par un sentiment de satisfaction en matière d’engagement citoyen pour le triomphe de l’éducation environnementale des jeunes, la promotion du respect de toutes les formes de vie et du bien-être collectif.
HC : Vos objectifs ont-ils été atteints ?
MS : Depuis sa création, le festival Cinécolo poursuit son objectif principal qu’est l’éducation, à travers le 7e art, plus précisément le documentaire, à l’écocitoyenneté et au développement durable de la population haïtienne dont les jeunes en particulier. Nos actions visent la création d’une masse critique de citoyens haïtiens conscients de la crise environnementale flagrante du pays en vue d’influencer les politiques publiques en matière de protection de l’environnement et du bien-être collectif.
Par l’organisation de cette édition, nous pouvons dire que la question de l’environnement a été à l’ordre du jour pendant plus d’une semaine que ce soit dans les écoles, les émissions de radio et dans les universités aussi à travers les différentes villes bénéficiaires du festival notamment à Ouanaminthe, la ville d’accueil. De ce fait, comment ne pas s’approcher de nos objectifs quand nous avons porté les questions environnementales dans les coins les plus éloignés et abandonnés du pays alors que nous savons très bien que la protection de l’environnement en Haïti est un sujet de second rang même dans les discours et actions politiques de tous les jours.
HC : Quelles ont été les principales activités de la 6e édition de Cinecolo et comment ont-elles contribué à la résilience des départements du Nord et Nord-Est très vulnérables sur le plan écologique ?
MS : Outre son menu principal constitué de projections-échanges, conférences-débats, ateliers, visites guidées, la sixième édition du festival Cinécolo a été truffée d’une pléiade d’activités importantes et utiles telles que la caravane Cinécolo dans les écoles, la marche pour le climat, la visite guidée au Jardin botanique de Ouanaminthe puis la soirée officielle organisée en Guadeloupe le 2 juin sous le parrainage de notre invitée d’honneur, Nicole Erdan, ambassadrice des ODD.
Parce qu’une population non éduquée, mal informée et inconsciente des enjeux environnementaux et climatiques, ne peut pas être résiliente face à cette crise écologique qui met en péril tout le système du vivant. Parce que l’éducation environnementale est la base de toute action visant le renforcement de la capacité d’une population à faire face aux aléas naturels et climatiques. Parce que l’implication de chaque citoyen/ne est incontournable au développement de sa communauté. Parce qu’il y a l’urgence de faire de l’écologie le socle des politiques publiques.
Les actions citoyennes comme celle du festival Cinécolo sont irréfutables dans tout projet de société visant à créer une alternative durable. Disons, non seulement les départements du Nord et Nord-Est, il est clair que la République d’Haïti ne sera pas viable, vivable et équitable tant qu’il n’y aura pas un projet de société fondé sur le bien vivre (Buen vivir).
HC : Quel est le bilan des six éditions de Cinecolo et comment impacte-t-il le comportement des jeunes haïtiens, principales cibles du festival ?
MS : Pour les six ans de Cinécolo, nous avons un bilan qui nous incite à agir davantage. D’abord, nous sommes le premier festival international du film de l’environnement du pays. Notre festival ne concerne pas seulement Haïti, nous visons la Caraïbe parce que nous avons des problématiques environnementales communes. Nous sommes dans l’obligation de trouver des solutions communes entre nos différents territoires.
Pendant nos six ans d’activités, nous avons atteint, entre les réseaux sociaux et nos actions en présentiel, plus de 100 mille personnes dans une trentaine de villes à travers le pays. Nous avons créé une dizaine de clubs écologiques qui fonctionnent normalement avec l’encadrement de l’association Maison Verte d’Haïti. Nous avons organisé, pour la première fois, une marche pour le climat et la justice sociale à Ouanaminthe le 5 juin 2022 avec la participation des milliers d’écoliers (vidéos en appui sur https://web.facebook.com/cinecolohaiti7).
Grâce au festival Cinécolo, nous (association Maison Verte d’Haïti) avons initié la plateforme Karibiodiv (www.karibiodiv.net), première plateforme numérique dédiée à l’éducation environnementale des lycéens et collégiens d’Haïti et de la Caraïbe orientale avec l’appui de nos partenaires étrangers notamment ACP-Environnement, co-porteuse du projet avec le soutien financier de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
HC : Pensez-vous que le cinéma peut amener un retournement de tendance dans la crise environnementale et climatique actuelle ?
MS : Un festival de cinéma c’est d’abord un événement qui se repose sur le pouvoir de l’image. Compte tenu de la capacité de ce pouvoir dans le façonnement de nos comportements ou plus simplement dans la sensibilisation des jeunes sur des sujets difficilement abordables en classe comme la protection de l’environnement, le festival Cinécolo-Haiti utilise le cinéma documentaire comme outil pédagogique ultime de son combat pour l’éducation environnementale de la population haïtienne, notamment les jeunes écoliers et universitaires.
Notre festival utilise la parole des rivières, de l’océan, des arbres, des animaux, des victimes de la démesure humaine pour nous mettre face à nos responsabilités en tant que peuple, héritier d’un territoire, d’une civilisation qui disparaît lentement mais sûrement, si nous ne faisons rien. Aucun rapport harmonieux entre l’être haïtien et son environnement naturel ne sera possible sans une éducation environnementale, sans une reconnaissance de son haïtiannité à travers tous ceux qui rendent possible sa vie et conditionnent son existence en tant qu’être vivant.
Voilà le sens de notre combat pour l’éveil de la conscience écocitoyenne de tous les Haïtiens et toutes les Haïtiennes, peu importe son origine sociale. Et nous le faisons à travers le cinéma. Nous y arriverons, car il n’y a aucune arme aussi puissante pouvant harmoniser le rapport entre l’être haïtien et son environnement naturel que l’éducation environnementale.
HC : Quels rôles l’État et la société civile peuvent-ils jouer dans la résolution des problèmes environnementaux et climatiques auxquels Haïti se trouve confronté ?
MS : Je suis désolé de le dire, mais Haïti est un pays vulnérable même dans sa capacité de combattre ses vulnérabilités (économique, sociale, écologique, climatique, etc.). Les catastrophes naturelles qui frappent régulièrement Haïti et la pauvreté planifiée du pays créent un contexte fragile dans lequel près de 98 % de la population est épisodiquement exposée aux risques de catastrophes naturelles.
Je crois que les actions éco citoyennes sont nécessaires, mais pas suffisantes pour résoudre la crise environnementale d’Haïti. N’en déplaise aux environnementalistes qui pensent que la solution passe uniquement par des campagnes de reboisement ou la distribution des sacs poubelle à des citoyens lambda. La solution aux problèmes environnementaux d’Haïti doit faire l’objet d’abord d’une volonté politique. Cette volonté politique ne sera manifestée que par des citoyens conscients de ces problèmes et qui seront au timon des affaires.
On ne peut pas confier à des hommes et des femmes vulnérables la mission de combattre la vulnérabilité d’un pays. La dégradation environnementale d’Haïti est un élément de la crise écologique planétaire. Et l’écologie est d’abord un sujet éminemment politique. Il faut arrêter cette politique du jardinage des brasseurs et brasseuses de l’environnement pour toucher la plaie du doigt. Sinon, nous paierons tous le prix de notre incapacité à défendre l’intérêt général et nous n’aurons pas le temps de profiter de nos miettes.
S’il y a bien un pays au monde qui a besoin d’un tel évènement pour éveiller, réveiller les consciences à l’écocitoyenneté, à la résilience climatique… c’est bien Haïti. Et pour le faire, il faut sauver le festival Cinécolo qui désormais n’appartient pas à l’association Maison Verte, mais à la République d’Haïti.
HC : Quelles sont vos perspectives pour la 7e édition ?
MS : Je peux vous dire que je sens déjà des esprits de la septième édition de Cinécolo qui m’habitent. Malgré le succès que nous avons eu, j’aimerais que la République le sache : le festival Cinécolo 2022 a été l’édition la plus difficile jamais réalisée. Si Ouanaminthe ne mettait pas tout son poids dans la balance, la sixième édition de Cinecolo n’aurait pas lieu.
J’aimerais profiter de cette occasion pour remercier notre président d’honneur, Dr Maismy-Mary Fleurant, nos invités d’honneur, nos conférenciers, les infatigables membres des comités de Limonade, Cap-Haïtien et Ouanaminthe. Un remerciement spécial à l’ingénieure-architecte Wideline Pierre, directrice départementale nord-est du ministère de l’Environnement et enfin, l’équipe nationale de Cinécolo.
Nous avons déjà plein de choses qui se croisent dans nos têtes pour la 7e édition de Cinécolo. Donc, la septième édition de Cinécolo aura bel et bien lieu en 2023 dans l’un des dix départements géographiques du pays. Et nous promettons déjà des surprises à couper le souffle.