Sur une superficie de huit hectares boisés en arbres et en plantes de diverses espèces locales et exotiques, représentant une bonne partie de la flore haïtienne, la ville des Cayes offre à ses visiteurs le premier Jardin botanique d’Haïti.
Au moment où l’érosion et les inondations, dues aux effets pervers du changement climatique et du déboisement, ont réduit la végétation haïtienne à sa plus simple expression, ce jardin est un signe éloquent de la volonté de l’initiateur de ce projet de redorer la couverture végétale du pays et du Sud en particulier.
Dans la localité de Bergeau, située à environ un kilomètre de l’entrée principale de la 3e ville d’Haïti, se trouve le Bureau du Jardin botanique des Cayes (JBC). Le nom de l’institution, inscrit en vert nature sur la muraille bordant l’entrée du bâtiment, n’échappera pas même au visiteur le plus moins attentif. À la salle de réception minuscule du bureau, deux secrétaires accueillent des membres de ‘’Haïti Climat’’, qui s’étaient rendus dans le département du Sud, et les introduisent à l’agronome Théogène Pierre André, responsable du Département Éducation du JBC.
M. Pierre André se propose de nous accompagner pour une visite guidée du Jardin se trouvant à dix minutes de marche du bureau. Après avoir parcouru quelques sentiers sinueux et traversé un pont d’une quarantaine de mètres qui relie la bande de terre longeant le Bureau du Jardin et une grande superficie s’étendant à perte de vue et comportant champs et habitats humains, nous voici au Jardin botanique des Cayes.
L’atmosphère calme du site, troublé par quelques cris d’oiseaux et les cliquetis des eaux avoisinantes, attire tout de suite notre attention sur la différence entre le paysage dénudé des flancs de mornes décrépis très visibles à partir de nos routes nationales et la verdure de l’espace.
Le Jardin, son histoire
« Voici le Jardin botanique des Cayes », signale l’agronome Théogène Pierre André. Le responsable du JBC a profité de la présence de ses visiteurs pour faire un survol historique du Jardin, de sa création, de son contenu, de sa mission et des difficultés qu’il traverse.
Le jardin botanique a vu le jour en 2003 sous l’initiative personnelle de l’agronome William Cinéa qui, après ses études en foresterie, avait préalablement créé en 2009 l’institution dénommée AyitiVêt, une pépinière de reforestation. Lors d’un séjour en Israël dans le cadre d’une formation en 2003, M. Cinéa avait visité un lieu de culte notoire appelé « Les Jardins de bahaï ».
À la vue fantastique de ce site très prisé par les touristes, William Cinéa est tombé des nues. « Si Israël qui est quasiment une terre désertique peut créer une telle œuvre, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir un jardin botanique en Haïti ?», s’interrogeait-il. De retour au pays après sa formation, il entreprend les premières démarches pour mettre sur pied son Jardin et agrandir l’espace de AyitiVêt.
Entretemps, il a fait un prêt auprès d’une banque commerciale haïtienne pour l’affermage d’un terrain de huit hectares. Ce faisant, il a tourné la page AyitiVêt pour créer une institution dont le nom résonne très loin des frontières d’Haïti, en l’occurrence, le Jardin botanique des Cayes inauguré le 3 septembre 2003.
«Haïti est l’un des pays les plus riches sur le plan floristique avec plus de cinq mille espèces de plantes vasculaires dont près de 41 % sont endémiques. Il n’existe pas d’autres espaces que le JBC pour conserver ces plantes natives qui sont légion. Avec seulement huit hectares, le JBC est très petit par rapport à la superficie d’autres jardins botaniques à travers le monde qui sont de grande envergure » a informé l’agronome Théogène Pierre André.
À titre d’exemple, il a cité plus près de nous la République dominicaine qui a un jardin de 160 hectares et celui de Cuba mesuré à 400 hectares. Fort de cette situation, les responsables du JBC envisagent de se débarrasser d’une bonne quantité de plantes exotiques pour faire de la place aux plantes natives, dont l’abricotier qui fait partie des fleurons identitaires de la flore haïtienne.
Le nouveau centre d’attraction du Sud
Le JBC est très fréquenté. Des visiteurs viennent de partout pour faire connaissance du Jardin et aussi s’enquérir de l’importance, du rôle et de la gestion de cette institution dont la contribution dans la recherche et la protection des espèces rares de la flore mondiale en fait une référence notoire dans le domaine et un lieu de visite très apprécié.
« La plus grosse clientèle du Jardin provient des écoles et aussi des églises en période de vacances et en période carnavalesque. Sans compter les touristes locaux et internationaux qui, une fois dans la zone, ne ratent jamais une occasion de visiter les lieux. Cependant, depuis tantôt deux ans, les visites en délégation sont moins fréquentes », a fait savoir Pierre André.
Les violentes manifestations liées à l’opération ‘’Peyi lock’’ et l’avènement de la Covid-19 sont à la base de la baisse drastique des visiteurs qui versent chacun une contribution allant de 200 à 250 gourdes comme frais d’accès au site ».
Pour entretenir l’espace et payer les employés qui sont une quinzaine au total, les responsables du Jardin développent une série de produits et de services. À part les frais d’entrée au Jardin, les responsables utilisent l’adoption comme un autre mécanisme pour attirer des fonds. L’adoption consiste donc à mettre en terre une plante au nom d’une personne en Haïti ou à l’étranger moyennant un frais qui permet d’assurer l’entretien continu du Jardin.
Cette plante est munie d’une étiquette estampillée de la note : « Adoptée par » suivie du nom de celui qui l’adopte. Une fois plantée, les responsables dotent la plante d’un point GPS qui permet de la repérer et de la photographier à chaque étape de son développement en vue d’en informer ‘’ l’adopteur’’. Ce dernier peut ainsi suivre son évolution à distance.
Le site est divisé en quatre départements, dont un département Horticulture qui s’occupe de production-vente de plantes, de vente de services d’aménagement et propose également des séances d’éducation et d’informations sur les plantules. Il y a aussi le département d’Éducation du JBC qui se charge des étudiants de Port-au-Prince qui viennent en stage de formation. Ces étudiants paient des frais pour ce service.
En outre, le JBC donne des consultations à des institutions pour informations sur les plantes, leur apprend comment éduquer les membres de leur communauté au sujet des plantes. Tous ces services vendus permettent au Jardin d’entrer un peu d’argent pour permettre de maintenir l’espace en vie.
Le jardinier Farid Bien-Aimé travaille dans l’espace qui loge le Jardin depuis 2002 bien avant la création de celui-ci en 2003. « Je n’ai pas fait d’études en agronomie, mais les belles expériences que j’ai accumulées depuis de nombreuses années à travailler la terre, m’ont permis d’apporter ma contribution à l’entretien du JBC où je fais un peu de tout. Qu’il s’agisse de la transmutation des plantes, de la reproduction, du marcottage, du greffage, de la reproduction », a soutenu fièrement Farid qui n’a pas manqué de retracer le passage dévastateur de l’ouragan Matthew.
Les dégâts étaient si énormes qu’on a dû fermer le JBC pendant un laps de temps pour permettre au jardinier et son équipe d’y faire le ménage et de faciliter la réouverture du Jardin quoique pas encore totalement remis des effets de Matthew aux visiteurs.
Le Jardin dans la lutte contre le changement climatique
Les responsables du Jardin accordent beaucoup d’importance à la question de la sensibilisation sur le changement climatique. « En ce qui nous concerne, nous travaillons sur les plantes, et les types de plantes cultivées dans une région donnée peuvent influer sur la résilience de la région face aux chocs naturels comme les cyclones, les sécheresses, les inondations, etc. », informe Théogène Pierre André.
L’agronome a évoqué, à cet effet, l’exemple du parc Macaya où les autorités concernées ont recouru aux pins pour protéger l’espace contre les intempéries.
« Cependant, avec le passage du cyclone Matthew, on a pu constater que le pin, étant une plante exotique, n’était pas la meilleure protection pour le parc qui a connu des dégâts énormes. Si d’ici là, le Parc a retrouvé sa verdure, c’est grâce aux plantes natives et endémiques de la zone du Macaya qui ont résisté vaillamment au cyclone alors que les pins ont été quasiment décimés », reconnaît le responsable du JBC.
De son côté, William Cinéa, fondateur du JBC, a expliqué « qu’en tant qu’institution scientifique de conservation, le Jardin botanique est là pour orienter les actions relatives au reboisement et à la restauration des écosystèmes au niveau local, national et même au niveau de la Caraïbe ! Le JBC est très présent au niveau du Réseau des jardins de la Caraïbe dont je fais partie des membres fondateurs », informe l’agronome Cinéa soulignant au passage qu’il est aussi membre du réseau des Jardins botaniques international (BGCI) qui a son siège en Angleterre et également du réseau des jardins botaniques francophone ».
Depuis l’année 2013, explique le fondateur, le JBC dispose d’un département de recherche et de conservation dont le rôle est de parcourir le pays en vue de collecter des plantes natives et endémiques de la Caraïbe. Selon les recherches effectuées au Jardin botanique des Cayes, Haïti disposerait de plus de 200 plantes endémiques. Le JBC compte actuellement environ 25 plantes endémiques (arbres seulement, arbustes et les herbes ne sont pas pris en compte dans ces données).
Ces plantes endémiques sont généralement familières à des colonies d’oiseaux et d’insectes qui constituent la biodiversité de la Caraïbe. À ce sujet, M. Cinéa a évoqué le cas où, par un malheur quelconque, Haïti devrait perdre ses palmiers qui sont une plante originaire de la Caraïbe. « Incidemment, l’oiseau palmiste qui est une espèce endémique pour Haïti et la République dominicaine disparaîtrait également de la flore haïtienne », argue-t-il.
« Plusieurs de ses espèces endémiques sont menacées de disparition, a poursuivi l’agronome Cinéa. À ce sujet, le rôle du Jardin botanique des Cayes est de travailler à la restauration des espèces en voie de disparition par le biais de son département de Recherches et de Conservation, étant bien équipé pour cette tâche ».
L’agronome Silien Jean Jones est coordonnateur de l’institution et directeur du département d’Horticulture au niveau du JBC. Son histoire avec le JBC a commencé en 2006 pour son stage après des études à la faculté d’Agronomie. Une fois le stage terminé, il a repris des études approfondies dans son domaine de choix.
Sept ans plus tard, en 2013, il revient au Jardin en vue de mettre bénévolement ses connaissances en horticulture au profit de cette initiative. Passionné de son travail, l’agronome Silien Jean Jones rêve de voir un jour l’État haïtien se déterminer à faire appliquer pour de vrai l’article 256 de la Constitution de 1987 stipulant : « Dans le cadre de la protection de l’environnement et de l’éducation publique, l’Administration centrale a pour obligation de procéder à la création et à l’entretien de jardins botaniques et zoologiques en certains points du Territoire. L’État peut, si la nécessité en est démontrée, déclarer une zone d’utilité écologique ».