Déclaré aire protégée par arrêté présidentiel en février 2014, le Parc national naturel des Trois-Baies (PN3B) jouit d’une certaine attention, mais insuffisante pour la protection et la mise en valeur du site qui couvre 76 000 hectares. Si le parc dispose d’un directeur, il n’a ni de ressources humaines, ni de ressources matérielles pour jouer son rôle. La Fondation pour la protection de la biodiversité marine (FoProBiM) tente, comme elle peut, de suppléer à la faiblesse de l’État dans la protection du parc.
Le Parc national naturel des Trois-Baies (PN3B) constitue une réserve de biodiversité. Une étude, intitulée «Inventaire écologique de référence pour le Parc national des Trois-Baies» publiée en 2016 par The Nature conservancy avec le support de la Banque interaméricaine de développement (BID), avait recensé 179 espèces indigènes de plantes vasculaires dans l’ensemble du parc, y compris cinq espèces végétales inscrites sur la liste rouge (espèces menacées) de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Dans cette même recherche, des relevés effectués sur les zones terrestres côtières ont permis de recenser 95 espèces d’oiseaux, parmi lesquelles 22 étaient des espèces migratrices non reproductrices. « Les espèces d’oiseaux indigènes rares observées comprenaient l’amazone d’Hispaniola (Amazona ventralis), le flamant des Caraïbes (Phœnicopterus ruber), la spatule rosée (Platalea ajaja) et l’ibis blanc (Eudocimus albus) », précise l’étude qui décrit les espèces marines et terrestres du parc.
En dépit de toutes ces espèces identifiées dans le parc déclaré zone protégée en 2014, il subit des assauts des pêcheurs, des coupeurs de mangroves et d’autres couches de la population depuis de nombreuses années. À Caracol, le bord de mer abrite un vaste bidonville. Pour se rendre au bord de la mer, il faut se frayer un chemin au milieu des maisonnettes qui étalent toute la pauvreté qui caractérise cette zone côtière. « Autrefois, toute la surface occupée par les maisonnettes était plantée de mangroves », révèle l’agronome Widlyn Florvil, coordonnateur à la Protection de la biodiversité marine (FoProBiM).
Une fois qu’on traverse le bidonville, on atteint les mangroves qui s’interposent entre la mer et les bidonvilles. À l’œil nu, on peut admirer la forêt de mangroves. Des espaces déboisés y sont en pleine régénération grâce au travail de la FoProBiM. C’est aussi le résultat du travail de sensibilisation entrepris depuis des années par la fondation auprès de la population.
Les mangroves constituent l’une des ressources du Parc national naturel des Trois-Baies. Le parc s’étend sur cinq communes : Caracol, Fort-Liberté, Terrier-Rouge, Ferrier et Limonade. Il s’agit d’une aire protégée marine avec des espaces terrestres et marines. Un important site qui devrait mobiliser de grands moyens pour sa protection. Loin de là. Sur le papier, l’État a pris d’importantes dispositions en vue de la valorisation du Parc naturel des Trois-Baies comme toutes les autres aires protégées du pays. Jusqu’ici, c’est la nuit et le jour entre ce qui se fait sur le terrain et ce qui est écrit sur le papier.
« Nous n’avons aucun support des autorités dans la protection du parc », confie Timothée Evans, responsable de l’Organisation des pêcheurs du bord de mer de Limonade (OPBML). Le pêcheur, qui dit s’impliquer depuis 2012 dans la protection de l’environnement marin, estime que le principal obstacle à la protection du parc est la pauvreté de la population qui s’adonne à la coupe des palétuviers (mangroves) pour la fabrication du charbon ou la vente sur le marché. La pêche artisanale est l’autre pratique qui, selon Evans, détruit les ressources du parc. La pêche des petits poissons empêche les espèces de se renouveler. La coupe des mangroves, c’est détruire le lit naturel des espèces marines. Ce qui les empêche de se reproduire. « Voilà pourquoi la pêche n’est plus rentable dans la zone », reconnaît Evans qui lutte pour la régulation de cette activité.
Le directeur du PN3B, Liauté Pierre, ne dit pas le contraire. « Il y a beaucoup de gens qui exploitent les mangroves pour faire du charbon ou les vendre sur le marché, constate-t-il sans annoncer aucune mesure pour stopper le désordre. « Il y a aussi la pêche non contrôlée », ajoute-t-il, déplorant qu’on ne laisse pas les poissons arriver à maturité.
À la base de ces mauvaises pratiques, il y a la pauvreté qui fait rage dans les communautés, mais aussi l’abandon du site par les autorités. Liauté Pierre en est conscient. « L’un des problèmes, c’est que l’Agence nationale des aires protégées (ANAPP) est jeune, il ne dispose pas de moyens, encore moins de budget », se plaint le directeur du parc qui ne dispose, lui non plus, d’aucun moyen pour protéger le parc. Pourtant, c’est l’ANAPP qui est chargée de gérer les aires protégées du pays.
Il existe la Brigade de surveillance des aires protégées (BSAP), forte de plusieurs centaines d’hommes armés. Ce corps armé présent dans les départements du Nord et du Nord-Est mais pourtant absent sur le site du Parc national des Trois-Baies. Au cours de notre rencontre sur le terrain avec le directeur du parc, nous lui avons demandé à quoi sert la BESAP. « Elle n’est pas sous sa responsabilité », a-t-il répondu laconiquement.
Il arrive même dans les médias qu’on assimile la BSAP à une milice politique au service du pouvoir. On se rappelle que des agents de BESAP lourdement armés avaient saccagé un sous-commissariat au Cap-Haïtien pour arracher l’un des leurs entre les mains de la police. Le directeur général de l’Agence nationale des aires protégées, autorité de tutelle de la BSAP, est au courant des accusations. Jeantel Joseph a même dénoncé, dans une note de presse en date du 14 octobre, des individus sans titre ni qualité qui se font passer pour des agents de la BSAP. « L’ANAP rappelle que la mission de la BSAP consiste à participer à la formation, à la sensibilisation et à la prévention des incendies forestiers ; surveiller l’exploitation anarchiques des mines et carrière de sable ; lutter contre la coupe abusive des arbres… »
Une chose est sûre, c’est que la BSAP n’est pas présente sur le site du PN3B. « Pour dire vrai, j’avais vu des agents de BSAP au bord de la mer de Limonade une fois, déclare Thimotée Evans. Ils accompagnaient une délégation ». Oscar Fadius, responsable de l’Organisation pour la protection de la baie de Fort-Liberté, abonde dans le même sens. « Quand on surprend une personne en train de d’arracher les mangroves on fait appel aux responsables pour envoyer des agents. Ces derniers disent toujours ne pas disposer de moyens de déplacement », fait-il remarquer. D’ailleurs, ajoute-t-il, certains pensent que les organisations de pêcheurs disposent de l’argent pour protéger le parc. Un responsable de la BSAP, ayant gardé l’anonymat, confirme que le corps ne dispose pas vraiment de moyens de déplacement pour intervenir sur le site.
Que font les autorités locales ?
L’un des maires assesseurs de Caracol, Johnson Alfred, est conscient de la nécessité de protéger le Parc des Trois-Baies. Les maires des quatre autres communes qui partagent le PN3B sont aussi préoccupés par la question. Voilà pourquoi un arrêté intercommunal portant sur la gestion des ressources halieutiques de l’aire protégée des ressources naturelles gérées des Trois-Baies (AP3B) a été adopté le 2 avril 2018. « Par cet arrêté, nous voulons nous donner un cadre légal pour protéger le parc », précise le maire Alfred. Quand bien les maires signataires de l’arrêté montreraient de leur bonne volonté pour protéger le Parc national des Trois-Baies, cela ne suffira pas.
L’arrêté interdit partiellement la pêche avec des filets à petites mailles (Sèn ti may) à partir du 1er juillet 2018 et l’interdiction totale à partir du 1er janvier 2020. L’arrêté interdit de pêcher toute espèce de poisson d’aquarium, toute espèce de poisson cartilagineux ainsi que des mammifères marins dans les eaux ou sur les plages de l’APP3B. Les contrevenants devraient payer des amandes allant jusqu’à 50 000 gourdes ou être sanctionnés par des peines de prison de deux semaines. « L’arrêté signé des maires d’alors des communes de Caracol, Limonade, Fort-Liberté, Ferrier et Terrier-Rouge n’est jamais entré en application, faute de moyen », reconnait Johnson Alfred.
Dans les cinq communes qui partagent le PN3B, il n’existe aucune cellule s’occupant de la protection du site. « L’arrêté intercommunal a été une tentative des autorités locales pour protéger le parc qui constitue une réserve de biodiversité », précise le maire Alfred. Il dit n’avoir aucun contact avec la BSAP qui est censée protéger le PN3B. « Aucun membre de ce corps ne vient de ma commune », regrette-t-il.
Johnson Alfred reconnait que la protection du Parc national des Trois-Baies ne nécessite pas seulement un corps armé, mais aussi la modernisation de la pêche dans la région ainsi que des alternatives pour que les gens trouvent d’autres sources de revenus en lieu et place de la coupe de mangroves et la pêche artisanale. « Nous voulions distribuer des équipements aux pêcheurs comme des bateaux, nasses et filets, mais nous n’avons pas les moyens », se désole le maire, qui fustige l’État central qui n’encadre ni les mairies ni les pêcheurs. « Nous avions émis des interdictions, mais nous devrions accompagner les pécheurs pour qu’ils changent leur pratique de pêche », fait remarquer M. Alfred comme s’il venait de perdre une bataille.
Même si le décret intercommunal n’est pas entré en application, le maire trouve de quoi se décerner un petit satisfecit. « Il y a une amélioration dans la couverture de mangroves », se réjouit-il. « C’est le résultat de la sensibilisation auprès de la population », poursuit-il.
Pour l’instant, il n’y a aucune perspective d’application de l’arrêté intercommunal du 2 avril 2018.
FoProBiM, au cœur de la restauration des forêts de mangroves
Toutes les personnes interrogées à Caracol admettent qu’il y a une nette amélioration dans la couverture de mangroves des côtes de la commune. À la base de ce succès, on trouve la Fondation pour la protection de la biodiversité marine (FoProBiM) qui se donne la mission de protéger la diversité marine, notamment des ressources comme les mangroves et les récifs coralliens. Créée en 1992, la FoProBiM s’implique à fond dans la sensibilisation de la population sur l’importance des ressources marines et la reforestation des mangroves. Elle avait aussi dans le plaidoyer pour décréter le parc national naturel des Trois-Baies aire protégée. « Depuis, grâce surtout au travail de la fondation, il y a des changements, constate l’agronome Widlyn Florvil, coordonnateur de terrain à la fondation. Les changements sont constatés au niveau de la mentalité des gens qui savent maintenant l’importance des ressources marines. Ce qui porte de plus en plus de membres de la population à participer à la protection du parc. »
Au cœur de la reforestation des mangroves, il y a un personnage clé : Joël Charles, responsable de pépinières à FoProBiM.
Quand il parle des mangroves, il le fait avec passion. « Nous préparons des pépinières pour reboiser les espaces clairsemés », se félicite M. Charles à propos de la stratégie de la FoProBiM pour reboiser les côtes de Caracol de mangroves. Il se réjouit que des gens qui coupaient les mangroves autrefois soient aujourd’hui parmi ceux reboisent les plantes. « Les gens savent maintenant que Caracol est plus bas que la mer. Les mangroves sont nécessaires pour les protéger contre d’éventuels tsunamis », avance-t-il, soulignant que les pêcheurs sont aussi sensibilisés à la nécessité de protéger les ressources marines.
Jean Wiener, le coordonnateur de la FoProBiM, se réjouit des résultats obtenus jusqu’ici dans la protection des ressources du Parc national naturel des Trois-Baies. « Nous commençons à montrer aux gens qu’ils peuvent faire autre chose que la pêche », indique Jean Wiener, qui croit que la population doit impliquer dans la protection du parc. « Nous pouvons faire des propositions, mais le changement doit venir des gens », ajoute-t-il, soulignant qu’il y a une amélioration dans la couverture de mangroves grâce à des efforts de sensibilisation et la reforestation.
Jean Wiener exprime sa volonté de continuer à œuvrer dans la protection du Parc national des Trois-Baies. Il estime cependant que des résultats durables dans cette bataille doivent passer par des programmes sur 5-10 ans au lieu des projets à court terme. Il invite les bailleurs à financer des programmes de protection du parc sur le long terme.
Cet article est publié avec le support de Society of Environmental Journalists et de HaïtiClimat
Jean Pharès JEROME