L’agriculture haïtienne est l’un des secteurs grandement impacté par le changement climatique. D’importantes pertes y sont enregistrées. Avec l’espoir d’une solution, les yeux sont rivés sur l’agriculture climato intelligente, une approche d’adaptation aux effets du changement climatique.
« Il y a de grand changement. Quand je pratiquais l’agriculture dans ma jeunesse, il y avait beaucoup d’avantages. À présent, la terre ne rapporte plus. Ce qui occasionne des pertes », nous fait savoir Franck Chérilus, 72 ans. Depuis plus de 50 ans, cet agriculteur évolue à Maulette, commune de Saint Marc, département de l’Artibonite. De plus en plus, sécheresse et insectes ravageurs impactent la production du septuagénaire qui pointe du doigt le changement climatique.
« Généralement, une plantation de bananes commence à produire à partir de six mois. On peut passer plus d’un an à récolter des bananes. À présent, la floraison des bananiers n’arrive même pas à maturité. La terre est devenue infertile. C’est un problème de climat », souligne M. Chérilus.
Saint-Marc est loin d’être la seule commune du pays qui connait cette situation qui n’est pas tout à fait nouvelle. L’impact national du phénomène a poussé l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, en anglais) à mener une étude qui devait mesurer ses conséquences réelles sur la production agricole en Haïti. « Nous avons observé un changement de comportement. Il y avait une prolifération de fourmis ravageuses qui détruisaient beaucoup de plantations et qui causaient la mort de certains animaux », se rappelle Joanas Gué, ministre de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) entre 2006 et 2011.
Selon M. Gué, une absence de méthode d’adaptation pourrait s’avérer fatale pour certains pays, dont Haïti qui subit grandement les conséquences du dérèglement climatique. « Ce changement au niveau du climat met en péril certains pays », fait-il savoir ajoutant que le phénomène est un des facteurs d’expansion de l’insécurité alimentaire à travers le monde. Alors que la production agricole a tendance à baisser, la population mondiale, quant à elle, augmente. Pour M. Gué, la technologie reste la seule échappatoire.
« Nous devons avoir une agriculture climato intelligente pour faire face au changement climatique. C’est une forme d’agriculture durable qui favorise l’augmentation des terres cultivables sans dégrader l’environnement », précise l’agronome et ancien ministre.
Et Haïti dans tout ça ?
En août 2022, le ministère de l’Environnement (MDE) et celui de la Planification et de la Coopération externe (MPCE) de concert avec le Programme Nations Unies pour le Développement (PNUD) ont lancé le Plan national d’Adaptation (PNA) au changement climatique en Haïti. Cette feuille de route a été finalisée en décembre 2022. Ses 340 actions ont pour objectif d’orienter le pays vers un ensemble d’actions et de mécanismes durables et de l’aider à faire face aux impacts du changement climatique. L’agriculture climato intelligente est hautement prioritaire dans le document.
« Elle est importante puisqu’elle nous envoie directement à des pratiques où nous pouvons utiliser des technologies innovantes permettant de faire augmenter la productivité agricole tout en travaillant à la réduction des émissions des gaz à effet de serre », laisse comprendre Gerty Pierre, directrice de la section « changement climatique » au sein du ministère de l’Environnement soulignant qu’en ce sens, certains projets ont été implantés dans le pays dont l’installation des pompes d’arrosage fonctionnant avec de l’énergie solaire.
Les gaz à effet de serre ne sont pas l’unique cible de l’agriculture climato intelligente. Aldagro Dorisca, professeur d’Agriculture, développement et économie rurale dans une université de la capitale, parle de sécurité alimentaire, de bien-être des paysans et dans un plus grand registre, de l’adaptation ou de l’atténuation au changement climatique. D’où son cri pour l’implication de l’État dans l’agriculture. « Les autorités concernées devraient développer un système de politique publique lié au développement de l’agriculture, de l’agro-industrie et de l’agroalimentaire dans le pays », fait-il savoir.
En attendant cette intervention étatique, l’agriculture locale continue de perdre du poids dans la balance économique d’un pays souvent décrit comme essentiellement agricole, notamment à cause de la situation sécuritaire et des aléas climatiques. Une situation qui complique davantage le travail de beaucoup d’agriculteurs, comme Franck Chérilus qui, grâce à la terre, a pu éduquer ses cinq enfants.
Fabiola Fanfan
Ce reportage est financé par ACLEDD grâce au support de FOKAL.