Source de revenus de plusieurs milliers de familles haïtiennes et porte-étendard d’Haïti dans la production d’huile essentielle de qualité supérieure destinée à l’industrie mondiale de la parfumerie, le vétiver ne fait cependant pas l’unanimité surtout chez les naturalistes et les écologistes. Ces derniers lui prêtent des vertus de prédateur de l’environnement terrestre et marin. Compte tenu de l’importance de la plante pour Haïti, Haïti Climat a promené ses projecteurs sur le vétiver en s’adressant à quelques acteurs du secteur pour plus de lumière sur la question.
Wilson Tilus économiste et administrateur de la Coopérative des planteurs de vétiver de Massé-Faucault-Bazelais (KPVMFB), contacté par Haïti Climat, a tout d’abord mis l’accent sur l’importance du vétiver pour les habitants des trois villages qui composent la KPVMFB. Cette coopérative, qui regroupe 300 membres, a pris naissance en 2012 sous l’instigation de l’agronome Pierre Léger. Elle gère un fonds de développement financé par l’Usine FRAGER, via l’entreprise Suisse Givaudan et sa Fondation.
Selon l’administrateur de KPVMFP, Wilson Tilus, ce fonds de développement a à sa charge plusieurs projets dans la communauté Massé-Faucault-Bazelais dont la construction d’un réseau électrique sur 8 km de route de Masse à Bazelais. « Quelqu’un qui voudrait avoir une idée du bilan des réalisations de la coopérative sur les plans social, économique et sanitaire doit visiter les 3 villages cités plus haut pour admirer un projet que la Fondation Givaudan a financé qui consiste en la construction de lavoirs-bains. Ils sont constitués de lavoirs ou de cuvettes préfabriquées pour la lessive en commun et les baignades. Toujours dans ce même programme, on trouve un projet d’eau potable qui dessert, à bas coût, la population Faucault et les environs ».
« L’entreprise suisse Givaudan a accepté de financer le fonds de développement moyennant l’imposition de certaines règles comme par exemple celle d’éviter de cultiver les racines avant une période de 12 mois ou celle d’éviter de jeter des matières en plastique sur le sol destiné au vétiver. Aussi, les plantations de vétiver destinées à produire de l’huile pour Givaudan sont-elles géo-référencées de façon à permettre au parfumeur d’étudier la traçabilité du produit » précise M. Tilus.
Mettant en relief les impacts positifs de la coopérative sur ses membres, Wilson Tilus a fait savoir « qu’avant la création de la coopérative, un ballot de vétiver se vendait entre 150 à 200 gourdes. En 2019, ce même ballot se vend 2500 gourdes. D’où la valorisation de cette matière première.
À ces 2500 gourdes, il faut ajouter plus 10% de retour cash pour les sociétaires sans compter un fonds de développement qui appuie le développement de la zone. Evoquant l’érosion qui attaque les surfaces plantées en vétiver après la récolte, le gérant de KPVMFB a objecté : « Quelle que soit la production qui se fait dans une surface montagneuse, elle exige des traitements particuliers. Si le traitement est mal fait, c’est la terre qui en pâtira »
La plante miracle, selon Pierre Léger
Pierre Léger, propriétaire d’Agri Supply Co. S.A/FRAGER utilise rarement la langue de bois pour mettre en relief l’importance de la culture du vétiver ou pour flageller des dirigeants haïtiens pour leur immobilisme face à la situation alarmante du pays. Ainsi, l’entrepreneur n’a pas voulu rater cette occasion de placer son mot après les propos du représentant du ministère de l’Environnement concernant la menace que représenterait le vétiver pour la végétation terrestre et l’environnement marin.
Selon Pierre Léger, les affirmations de l’agronome Desrosiers Pierre Joab du Bureau départemental du Sud datent de la vieille école. Elles ne tiennent pas la route aujourd’hui à l’heure où de grands pays comme le Brésil, la Chine, l’Indonésie savent comment planter le vétiver en terrasse. « Cela fait très longtemps que je fais la promotion de la culture en terrasse et par alternance en Haïti. C’est pourquoi depuis un certain temps je donne gratuitement des plantules de citron pour séparer les plantations de vétiver et celles d’autres cultures et éviter l’érosion que pourrait provoquer la culture du vétiver. »
Quant au fait de dire que le vétiver empêche la régénération de la couverture végétale en poussant les paysans à couper des arbres pour planter du vétiver, le propriétaire de l’usine Frager s’inscrit en faux contre ces allégations. Il soutient à cet effet que le vétiver n’a pas besoin d’une terre fertile pour grandir et produire. « Cette plante pousse même là où les cabris ne trouvent rien à manger. Et contrairement à ce qu’on dit, le vétiver retient la terre », insiste Pierre Leger qui recommande aux cultivateurs de repiquer tout de suite après la récolte des racines pour éviter que le sol parte vers la mer.
« C’est une plante miracle », aime-t-il à dire.
Les terres arides sont le terreau dont a besoin le vétiver pour grandir. C’est l’une des rares plantes qui résistent aux cyclones et aux inondations, expliquent encore le héros du vétiver qui ne jure que par la culture par alternance pour protéger la terre arable.
La culture par alternance consiste à alterner plusieurs cultures sur une même surface en ayant soin de séparer chaque culture par une plante intermédiaire. Ainsi on peut planter du vétiver et des arbres fruitiers en séparant les deux cultures par une rangée de citronniers et de n’importe autre plante.
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Dans cette grande bataille pour offrir des opportunités économiques viables aux paysans à travers la culture du vétiver et protéger les surfaces plantées, le gérant d’Agri Supply estime que lui et la communauté des paysans producteurs sont quasiment seuls. Jamais un représentant du ministère de l’Environnement ou du ministère de l’Agriculture n’est venu lui parler.
« La Chine, le Brésil, le Madagascar font du vétiver aussi. Mais faire la compétition à Haïti est un combat impossible, perdu d’avance en dépit du fait que ces pays ont le support de leur gouvernement alors que de notre côté, nous sommes seuls. Ils sont subventionnés à l’exportation et nous ne le sommes pas » s’emporte l’entrepreneur du Sud.
Pierre Léger pense qu’il y a moyen pour les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture de se mettre ensemble pour utiliser le vétiver à la protection des sols comme l’avaient fait les autorités philippines à un certain moment.
« La première bataille que ces deux ministères devraient mener c’est contre la coupe effrénée des arbres pour faire du charbon. Ils devraient arraisonner les camions, arrêter les coupeurs de bois et les emprisonner et proposer une alternative au charbon de bois aux paysans. Ils l’ont fait à la Jamaïque, ils l’ont fait à la Dominique et ils l’ont fait en République dominicaine. Pourquoi nous ne pourrions pas le faire ? », s’interroge-t-il.
« A ce moment-là, poursuit-il, on pourrait utiliser, les arbres fruitiers, le vétiver et tant d’autres pour un programme de reforestation du pays ».
Revenant aux avantages économiques qu’offre le vétiver, M. Léger a fait savoir qu’un paysan qui a un carreau planté en vétiver pendant la récolte peut réaliser entre 575 mille et 600 mille gourdes de profit pendant une année.
C’est avec une fierté non dissimulée que le propriétaire de l’usine FRAGER des Cayes, Pierre Léger, évoquant la situation économique de certains employés de son usine, affirme que ces derniers ont un revenu plus important que le directeur départemental de la police des Cayes ou du Délégué du Sud.
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Louis Gary Cyprien