La culture du vétiver est-elle préjudiciable à l’environnement ?
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Source de revenus de plusieurs milliers de familles haïtiennes et porte-étendard d’Haïti dans la production d’huile essentielle de qualité supérieure destinée à l’industrie mondiale de la parfumerie, le vétiver ne fait cependant pas l’unanimité surtout chez les naturalistes et les écologistes. Ces derniers lui prêtent des vertus de prédateur de l’environnement terrestre et marin. Compte tenu de l’importance de la plante pour Haïti, Haïti Climat a promené ses projecteurs sur le vétiver en s’adressant à quelques acteurs du secteur pour plus de lumière sur la question.
A côté de la mangue Francisque, Haïti détient un autre label de qualité en matière de production agro-industrielle, qui n’est autre que l’huile essentielle produite à partir du vétiver. Très prisée par l’industrie de la parfumerie, cette plante a la particularité d’être la composante principale de bon nombre de parfums de luxe. Qu’il s’agisse de Zegna, de Cartier, de Chanel, de Christian Dior, de Guerlain, de Prada, etc., tous ces grands noms de la parfumerie mondiale ont le vétiver comme élément indispensable dans leur composante. Cela explique que la plante soit si recherchée par les parfumeurs mondiaux et que les producteurs y voient une mine à exploiter.
« Chaque plante a son habitat, son facteur milieu. Par un heureux hasard, le vétiver a fait de la Presqu’ile du Sud son habitat préféré. Ainsi de Tiburon à Jacmel, trente-cinq (35) mille familles Haïtiennes vivent du vétiver qui constitue une vraie manne pour la communauté Sud d’Haïti et l’un des fers de lance de l’exportation haïtienne », informe l’agronome Pierre Léger, communément appelé l’homme du vétiver dans le Sud.
« Grace au vétiver du Sud, Haïti est mise en bouteille sur toutes les grandes étagères du monde », soutient avec fierté non feinte le magnat du vétiver du Sud, l’agronome Pierre Léger. En plus de mettre Haïti en valeur, le vétiver devient une plante vitale pour le paysan qui y voit une source de revenu stable par rapport aux autres cultures plus sensibles aux intempéries.
De par la qualité de son vétiver, Haïti devient incontournable dans cette filière où il est le premier exportateur mondial couvrant plus de 40% de la demande mondiale devant des pays comme l’Indonésie, la Chine, le Madagascar, le Brésil, etc.
En dépit de tous ces avantages, la culture du vétiver comporte un risque non négligeable que des défenseurs de l’environnement ont signalé à l’ intention des exploitants du secteur. Selon les tenants de cette approche, la culture du vétiver sur le long terme provoque la dégradation du sol et des répercussions nocives sur l’environnement marin.
Touchée par la question, la plateforme multimédia Haïti Climat est allée à la rencontre des acteurs de cette filière, en l’occurrence, les producteurs, les coopératives, les distillateurs, un représentant du ministère de l’Environnement pour se faire une idée plus précise sur le sujet.
Le vétiver comme agent érosif
La première visite des représentants de Haïti Climat l’a conduit à l’agronome Desrosiers Pierre Joab, spécialiste en ressources naturelles pour le ministère de l’Environnement au Bureau Départemental Sud. Pour lui, il n’y aucun doute, le vétiver nuit à l’environnement. Pour corroborer son assertion, il s’appuie sur le fait que : « pour être cultivé, le vétiver a besoin d’un sol qui soit exposé au soleil, qui n’a pas besoin d’arbres ni d’arbustes. Sinon au moment de la récolte, la racine de l’arbre ou de l’arbuste va empêcher de cultiver le vétiver. Comme le ministère de l’Environnement prône un environnement vert, une couverture végétale avec beaucoup d’arbres, donc une culture qui réclame l’absence des arbres est nuisible à l’environnement ».
Il poursuit ainsi : « quand on cultive le vétiver dans un sol ensablé, c’est la racine du vétiver qui retient la terre. L’élément primordial du vétiver est sa racine. Dès qu’on prive le sol de cette racine, il se trouve exposé à l’érosion. Ainsi, à la moindre pluie, tout le sol cultivable va à la mer accompagné d’alluvions. Ces dernières, en tombant dans la mer, apportent avec eux de l’argile qui va affecter tout l’écosystème marin. D’où un réel drame pour les habitants marins principalement les poissons sans oublier la flore marine qui va être aussi affectée ».
« La beauté des plages va s’en trouver affectée et puis au fil des années, le sol perd au fur et à mesure sa substance nutritive ».
« D’un autre côté, si en aval d’un espace où on cultive le vétiver se trouve une plantation de riz, cela va affecter gravement la rizière en y apportant des alluvions argileux très nuisibles à la culture du riz » pense l’agronome Joab qui reconnait tout de même la valeur économique du vétiver pour le pays. De ce fait, il a indiqué deux ou trois façons de planter et de cultiver la plante sans causer de tort à l’environnement en appliquant la culture en terrasse et la culture en alternance.
Face aux propos tenus par le représentant du ministère de l’Environnement, les acteurs de la filière vétiver ont été appelés à donner leur point de vue. Que ce soit le paysan producteur, les membres des coopératives du vétiver, les distillateurs, ils ont tous admis que d’un certain point de vue une mauvaise culture de ladite plante peut réellement nuire à l’environnement.
Certains sont d’avis que la remarque de l’agronome Desrosiers ne concerne pas uniquement le vétiver. Toutes les plantes en sont concernées car l’agriculture, telle qu’elle se pratique en Haïti, sans encadrement des autorités concernées, est une menace pour l’environnement. Tour à tour, les acteurs n’ont pas ménagé le ministère de l’Environnement et le ministère de l’Agriculture qu’ils accusent de négliger les producteurs et l’agriculture en général.
Cependant, il faut reconnaitre que dans le classement des plantes prédatrices de l’environnement, les avantages qu’offre le vétiver ne plaident pas en sa faveur. En effet, à cause de sa popularité dans le Sud et sa résistance aux intempéries, des producteurs mal avisés ont surexploité la plante, au grand dam du sol.
Louis Gary Cyprien
Suite : L’État haïtien, grand absent dans la culture du vétiver