En Haïti, les déchets plastiques sont partout. À travers les rues, le long des canaux d’évacuation d’eau, dans les égouts, dans le lit des rivières et aux abords des plages. En réponse à cette omniprésence, l’institution haïtienne ‘’Konbit Plastik’’, depuis août 2017, procède à la collecte et le recyclage de plusieurs milliers de bouteilles plastiques au niveau de la région de Port-au-Prince et dans certaines villes de province.
Reportage
Rosita, 33 ans, est mère de trois enfants. Depuis plus de 10 ans, elle collecte des bouteilles en plastique au niveau des rues de la région métropolitaine de la capitale. Vêtue d’un t-shirt noir, d’une jupe bleue et d’un bonnet en tête, Rosita nous confie tout le bien être que lui apporte cette activité dans un pays où pas moins de 70 % de la population est au chômage. On l’a rencontré à la rue Pavée au cœur du centre-ville, haut lieu du stockage des plastiques destinés à des tris.
« C’est ce qui me permet de prendre soin de mes trois enfants, payer leur scolarité et le loyer. Par semaine, je peux livrer entre 500 à 1 000 livres de plastiques. Je gagne entre 3 à 6 mille gourdes. C’est un travail assez rentable pour moi. J’adore ce que je fais », raconte-t-elle fièrement, ajoutant qu’il serait difficile pour elle de laisser cette tâche pour une autre.
A une cinquantaine de mètres environ de Rosita, on a rencontré Gabriel Fortuné, accoutré d’un maillot et d’un pantalon en tissu très usagé, d’une paire de bottes noires en plastique le long de ses genoux et coiffé d’une casquette à carreaux. Il est 8 heures. C’est l’heure pour l’homme de 45 ans de commencer son boulot. Sur le sol gît une quantité immense de débris plastiques de différentes catégories : des bouteilles de boissons gazeuses, des gallons jaunes et des blancs, des cuvettes cassées et tant d’autres récipients en plastique destinés à usage domestique. Le collecteur s’apprête à faire le tri pour les emballer.
« Après avoir fini de les diviser par couleur et par catégorie, je les emballe tous dans de grands sacs appropriés pour les transporter vers des centres de collecte partenaires de ‘’Konbit Plastik’’, qui seront acheminés vers des centres de recyclage. Les livres vendus nous coûtent entre 4 et 6 gourdes », soutient Gabriel Fortuné.Vers des centres de recyclage…
‘’Konbit Plastik’’, est une institution spécialisée dans la collecte et le recyclage des matières plastiques en Haïti. Elle mobilise plus d’une centaine de colleteurs.rices à travers une cinquantaine de points de collecte. Depuis son lancement officiel en 2017, plus de 105 millions de bouteilles de plastique ont été collectées, traitées et recyclées dans au moins 10 points, érigés à travers le pays. L’institution s’engage à lutter contre la pollution des fonds marins au moyen de collecte et du recyclage des déchets plastiques.
Les usines spécialisées dans le traitement et la transformation des plastiques leur redonnent une vie avant de les remettre sous diverses formes sur le marché. Les plastiques sont notamment transformés en tables de jeu, rideaux et plaques d’honneur. Les centres de recyclage jouent un rôle indispensable dans le système mis en place par cette entreprise qui se veut social. « Si aujourd’hui il n’existe pas de statistiques fiables sur le volume réel de plastiques écoulés sur le marché local, ce dont on est certain c’est que, la mauvaise gestion de ces matières transformées en déchets entraîne de graves conséquences sur l’environnement », s’indigne Robenson Sanon, le responsable de Communication de ‘’Konbit Plastik’’.
Une approche « Éco-Éco »
L’ensemble des activités de l’institution est misé sur une approche « Éco-Éco ». Elle contribue à la protection de l’environnement et permet aux bénéficiaires de générer des revenus dans leurs communautés, dont plus de 110 familles.
« Nous achetons également des déchets plastiques venant des autres collecteurs ne faisant pas partie de l’équipe. Nous pouvons acheter jusqu’à 10 mille gourdes qui peuvent nous générer un bénéfice de plus de 3 mille gourdes après les avoir vendus dans les centres de collectes de Konbit Plastik. Ainsi, dans la chaîne, tout le monde gagne de l’argent », fait savoir Gabriel Fortuné, avant de souligner que cet emploi constitue sa principale source de revenu lui permettant de prendre soin de sa famille.
« S’il faut laisser ce gagne-pain, je retourne à la campagne», dit-il. Par ailleurs, ‘’Konbit Plastik’’ encourage les efforts des collecteurs.rices en mettant à leur disposition un bonus de deux gourdes par livre de plastique collecté qu’on appelle « premium », par-dessus de ce qu’ils gagnent à partir de la vente des plastiques aux centres de collecte et de recyclage. « C’est le fruit d’un solide partenariat établi entre l’entreprise et trois centres de recyclage dont Haiplast, Haïti Recycling et Tropical recycling », souligne M. Sanon.
Des programmes favorisant de bonnes pratiques écologiques
‘’Konbit Plastik’’, en plus d’encourager les opérations de collecte menées directement dans les espaces publics, implémente tout un ensemble de programmes qui n’ont qu’un objectif : assurer la protection de l’environnement, tout en récupérant les plastiques à la source et du coup sensibiliser le public à développer des comportements écoresponsables.
Parmi ces programmes, on compte « Éco-École » visant à aider les établissements scolaires à mieux gérer leurs déchets plastiques. Éduquer et sensibiliser les écoliers.ères à développer des comportements harmonieux avec leur environnement, tel est son principal objectif, indique le responsable de communication. Les écoles ciblées reçoivent une poubelle dédiée à la collecte des déchets plastiques qui, une fois remplie, est vidée régulièrement par ‘’Konbit Plastik’’ qui achemine leurs contenus vers des centres de collecte.
Par ailleurs, grâce au programme « Eco-Alpha », un individu peut apprendre à lire et à écrire. Pour y prendre part, il lui suffit de participer à la collecte des déchets en suivant les mêmes directives que tous les collecteurs. « Avant, pour récupérer mon argent dans les centres de collecte, j’ai dû faire une croix en guise de signature, aujourd’hui grâce à ce programme je peux signer mon nom », raconte Rosita, une des bénéficiaires de ce programme.
Il y a également « Éco-entreprise » qui encourage les entreprises privées à s’impliquer dans la protection de l’environnement. Elles facilitent la collecte des déchets plastiques à la source. Le programme « Éco-quartier », s’adresse aux quartiers en les aidant à mieux gérer leurs déchets plastiques. Les opérations de collecte et de tri se font à partir des ménages qui alimentent le point de collecte qui se trouve dans leur communauté.
L’urgence d’agir !
«La durée de dégradation des matières plastiques prennent entre 100 à 1 000 ans dans la nature», selon l’ingénieur/agronome Pierre Michard Beaujour, doctorant en écologie et l’entomologie. Il soutient que « les matières plastiques en pleine nature, outre la pollution visuelle qu’elles représentent, constituent un véritable danger pour l’environnement. Elles peuvent libérer dans le sol et dans les eaux, des molécules dangereuses, tant pour l’homme que pour la nature ».
« Si rien n’est fait, nous sommes tous appelés à disparaître », renchérit Robenson Sanon, responsable de communication de Konbit Plastik. En effet, si la majorité des gens qui vivent en Haïti ne voient pas l’urgence d’agir ou de poser des actions rapides, ‘’Konbit Plastik’’ emboite le pas.
Kattia Jean-François