Il était une fois dans la commune de Gros-Morne, dans le département de l’Artibonite, une petite localité de la troisième section appelée Corail. Elle s’étend sur une superficie de 38.87 km² et compte plus de 3 000 habitants. Quoique traversée par la rivière Blanche, de toute sa trajectoire, les habitants de Corail vivent de l’agriculture qu’ils pratiquent sous un régime pluvial. Accompagnée de mon équipe, on s’est lancé dans l’exploration d’une altitude de 336 et 882 mètres de hauteur. C’est sûr, vous vous posez la question : comment ai-je pu marcher pour arriver au sommet? Eh bien, laissez-moi vous dire ceci : “les femmes peuvent accomplir beaucoup de choses également”. Comme c’est magnifique d’admirer un paysage verdoyant scintillé de rayons de soleil caressant un ciel d’azur!
Malgré cette beauté resplendissante, il était pénible de constater combien les habitants sont confrontés à de nombreux problèmes environnementaux. Des terres marginalisées, exposées au changement climatique et à toutes sortes de catastrophes naturelles. J’étais stupéfiée, et je me suis posée ces questions : “En quelle proportion les pratiques agricoles impactent-elles la gestion durable des sols de Corail ? Quelles sont les meilleures pratiques pouvant préserver ces sols ?” Mon équipe était triste de me voir dans un état angoissant. Compatissants, ils m’ont alors conseillé de partir et de revenir après deux semaines.
Les deux semaines m’ont paru longues et interminables. Je n’arrivais pas à trouver le sommeil tellement les questions trottaient dans ma tête. Il me fallait à tout prix trouver une méthode pouvant me conduire à répondre à ces interrogations perturbatrices. Un jour, je me suis réveillée avec l’idée d’aller établir un lien entre les pratiques agricoles et la dégradation des sols de Corail et proposer des pratiques adaptées pour une gestion durable. Les deux semaines se sont écoulées, j’avais hâte de retrouver mon équipe pour une nouvelle aventure.
Un lundi, de très tôt, je m’habille rapidement et j’enfile mes bottes. C’est apaisant d’entendre couler à travers les rochers les eaux de la rivière Blanche! Soudainement, je me rappelle que l’un des membres de mon équipe m’avait expliqué qu’il y a cinq zones à Corail qui font la mise en culture des sols sur des pentes supérieures à 40 %. Je demande à monsieur Cherelus, le plus âgé de l’équipe : “savez-vous combien d’agriculteurs sont-ils ? Sans hésiter, il répond : environ 400. Mais c’est trop, je veux interroger 80 d’entre eux. Pas de souci, je vais utiliser un échantillon pour une meilleure représentativité”.
En train de travailler sur mon ordinateur dans la localité de l’Association Originaires de Grande Plaine (AOG), je me rappelle une fois avoir lu dans un livre de statistique qu’il y a une méthode d’échantillonnage appelée « quota ». Elle est basée sur la répartition connue de la population pour un certain nombre de caractères (sexe, âge). Pour pouvoir l’utiliser, il me faut un modèle de quotas des agriculteurs à l’intérieur de l’échantillon. “Au secours, comment procéder?” Heureusement, le temps du weekend était venu. Je vais profiter pour me promener dans les jardins du Centre de Grépin, l’endroit où j’ai été logée pour pouvoir effectuer mon travail de recherche. Diverses cultures maraîchères et céréalières y sont cultivées. On y trouve également des fleurs, des arbres fruitiers et forestiers. Le chant des oiseaux procure un effet apaisant et relaxant, cela m’a aidé à réfléchir sur une meilleure formule. Je suis profondément reconnaissante envers la nature pour les précieux services qu’elle nous offre.
Il est environ 8h du matin, mon sac à dos pèse très lourd. Pourtant, il ne contient que des questionnaires pour la collecte des données et les interviews. On se met en route, une ligne de voitures, prise au filet de l’embouteillage sur la route nationale numéro 5, nous empêche d’avancer. “Qu’est ce qui se passe, pourquoi cette foule de personnes se rassemblent malgré l’interdiction du gouvernement en raison de la situation sanitaire du COVID-19?”, ai-je demandé à mon chauffeur de motocyclette.
“Depuis ce matin à l’aube, les habitants ont érigé des barricades pour revendiquer le droit d’avoir des infrastructures routières modernes et vivre normalement comme des êtres humains”, me répond-il. C’était difficile de traverser, mais on arrive enfin à Corail. Un groupe de 20 agriculteurs nous attendaient dans une petite salle, les interviews se sont déroulées dans une ambiance chaleureuse. Les interrogations ont été portées sur la connaissance de l’importance des arbres, les types de culture et les méthodes de conservation de sol. Les paysans d’Haïti sont réputés pour leurs qualités généreuses et hospitalières.
Les 80 agriculteurs de l’échantillon ont tous été interviewés sur une période de cinq semaines à proportion égale entre les sexes. Assise sous le pavillon au milieu du jardin de Grépin, munie d’une pile de papiers étalée sur la table, j’aperçois un colibri tombé d’un cèdre. Le regardant qui essaye de déployer ses ailes malgré les contraintes du vent et de la pesanteur, j’ai vite couru à sa rescousse avant qu’un prédateur ne survienne. Il ne voulait pas trop de mon aide, mais je lui ai chuchoté des petits mots doux en le transportant sur un hibiscus avant qu’il prenne son envol.
Je me suis mise à traiter les informations recueillies lors de l’enquête. Ce que j’ai trouvé comme résultats me laissent perplexe : « 40 % des agriculteurs sont des propriétaires directs de leurs parcelles. Parmi les cultures dominantes des cinq zones, 67.5 % produisent uniquement de l’arachide et des haricots. La machette est utilisée par 85 % des agriculteurs pour exploiter et travailler le sol. Pour les méthodes de conservation de sol, seulement 27.5% ont érigé des rampes vivantes et construit des murs secs en seuils de pierre. Pourtant, 51.25 % des agriculteurs enquêtés ont la connaissance de l’importance des arbres dans la protection du sol ».
C’est étonnant, j’avais beaucoup de mal à croire que les informations recueillies allaient démontrer combien les modes d’exploitations agricoles pratiqués par les agriculteurs contribuent autant à la dégradation des sols de Corail. J’aimerais bien apporter ma faible proposition en utilisant des pratiques agricoles basées sur des principes d’association de cultures et de rotations. “Écoutez monsieur Cherelus, si je ne reviens pas, dites-leur que les effets du changement climatique sont catastrophiques. Pour leur sécurité, ainsi que celle de leurs petits-enfants, il est nécessaire de former des îlots et reboiser les zones qui se trouvent entre 500 et 800 mètres d’altitude.” Je ne pouvais pas me retenir, je suis partie avec des larmes aux yeux.
Autrice : Gisèle UTIL, Agronome, Master en gestion des aires protégées et de la biodiversité. Travail de recherche scientifique réalisé (mars- août 2021) en collaboration avec AOG et CEFREPADE pour l’obtention du diplôme de master de l’Université Senghor d’Alexandrie.