Autour de la thématique du changement climatique, ses enjeux et perspectives pour Haïti, le professeur Evens Emmanuel a abordé, à l’émission Haïti Climat du 5 septembre 2024, un aspect souvent négligé : la vie des chercheurs évoluant dans un pays comme Haïti.
« Le métier de chercheur et professeur d’université est, en soi, un défi », a affirmé le professeur Evens Emmanuel, vice-recteur à la recherche et à l’innovation de l’Université Quisqueya. Malheureusement, en Haïti, la perception entourant l’université et la recherche ne favorise pas une reconnaissance appropriée. « Le pays ne figure pas parmi les meilleurs endroits pour pratiquer cette profession, surtout si l’on souhaite rester fidèle aux idéaux élevés qu’exige le métier de chercheur », a-t-il ajouté.
Parmi les nombreux défis auxquels font face les chercheurs et professeurs en Haïti, se pose la question du maintien et de l’actualisation des connaissances. En effet, acquérir des savoirs, particulièrement dans le domaine de la recherche, peut sembler plus facile que de les maintenir à jour. Les exigences de la profession, couplées aux difficultés du quotidien, rendent presque inaccessible l’écriture d’ouvrages intellectuels, la participation à des conférences ou l’adhésion à des associations académiques. Avec leur salaire et leur niveau de vie, il est difficile pour ces chercheurs et professeurs de se permettre de telles activités.
Ainsi, au fil des années, sans mises à jour régulières de leurs connaissances, il n’est pas rare de voir certains d’entre eux s’éloigner progressivement de ce domaine.
Ces situations ne se limitent pas seulement à freiner la production et la recherche intellectuelle, elles remettent aussi en cause la qualité de l’enseignement en Haïti. « Si l’on n’est pas à jour, on est condamné à répéter ce que l’on savait déjà, ce que nos professeurs ont enseigné avant nous », a expliqué le professeur Emmanuel. L’incapacité de remettre en question les théories ou de produire des réflexions critiques pose un problème fondamental : qu’est-ce qu’un professeur peut transmettre s’il ne renouvelle pas ses connaissances ?
D’où la nécessité d’un accompagnement accru de l’État et du secteur privé, au-delà du simple financement du budget des universités. En Haïti, avec plus de 200 universités, une grande partie de la production intellectuelle reste non protégée ou négligée. Selon un rapport de l’Institut de statistiques de l’Unesco publié en 2021, seules 109 publications ont été enregistrées, reflétant une situation critique pour le milieu académique haïtien.
Les impacts du changement climatique sur la recherche et l’agriculture
Selon certains rapports des Nations Unies provenant de grands experts, Haïti a été identifié comme un pays faisant face à un stress hydrique, et d’ici 2025, il fera partie des 49 pays qui subiront une crise absolue en eau, a souligné le professeur Emmanuel. De plus, il a partagé un constat alarmant : « Les changements climatiques ont perturbé le cycle des pluies, ce qui affecte directement l’agriculture haïtienne, principalement pluviale ». Aujourd’hui, nous recevons toujours la même quantité d’eau, mais sur une période beaucoup plus courte.
Face à cette réalité, le professeur croit que l’État haïtien doit s’appuyer sur les travaux et réflexions des scientifiques pour reconsidérer ses politiques publiques. Il est essentiel de prendre en compte le stress climatique afin de permettre la réalisation de recherches scientifiques conformes aux normes internationales.
Préparer la relève scientifique haïtienne : la mission du professeur Emmanuel
Au-delà de sa consécration à la cause scientifique, le professeur Emmanuel s’est donné pour mission de préparer la relève des jeunes chercheurs sur les questions climatiques en Haïti. À travers de nombreux partenariats avec le rectorat de l’université, des organisations et d’autres chercheurs, il travaille activement à former une nouvelle génération prête à affronter ces défis.
À l’université Quisqueya, où il enseigne depuis plusieurs années, l’établissement s’est engagé à former des jeunes chercheurs. Cela passe par l’organisation de diverses activités, telles que la Journée nationale haïtienne du changement climatique, réalisée récemment avec la déclaration de Turgeau. Ces initiatives, y compris des colloques, des stages d’immersion pour les jeunes et autres événements, visent non seulement à diffuser des informations, mais aussi à sensibiliser le public et les décideurs.
Le succès de cette Journée nationale sur le changement climatique a mis en évidence l’importance de créer des comités intersectoriels pour continuer ce mouvement. « Il y a un consensus parmi les participants sur la nécessité de ces comités pour poursuivre ce travail essentiel », a déclaré le professeur Emmanuel.
Le professeur insiste également sur l’urgence de s’attaquer à l’insécurité climatique, qui frappe de plein fouet le pays. Il rappelle que cette situation est à l’origine de plusieurs problèmes sociaux, comme la migration des paysans des zones rurales vers les bidonvilles à cause de la baisse de rendement des terres agricoles. « La mission première de l’État est de mettre en place les conditions pour que sa population puisse jouir d’un certain bien-être », a-t-il souligné. Il est conscient que les moyens peuvent être limités, mais avec une vision intelligente, il est possible de trouver des solutions adaptées.
Cependant, malgré toute sa bonne volonté, le professeur doit également faire face à l’exode des talents, y compris des chercheurs haïtiens, provoqué par les politiques migratoires internationales combinées à la crise actuelle. Ce phénomène affaiblit davantage la capacité d’Haïti à innover et à se préparer aux défis climatiques à venir.
Esther Kimberly Bazile