D’une superficie totale de 125,499.36 hectares de terres, les aires protégées (AP) logent 1,649.29 kilomètres pour un ensemble de 26 parcs, répartis en parc national, protection de la biodiversité, zone réservée, élément naturel exceptionnel et patrimoine mondial par l’UNESCO. Ces proportions délimitées du territoire national sont coiffées par une structure directrice dénommée Agence Nationale des Aires Protégées (ANAP) qui elle-même se trouve placée sous la tutelle du ministère de l’Environnement (MDE), ayant entre autres missions de préserver la biodiversité et l’écosystème haïtiens.
Créée en 2006 par un décret-cadre et devenue une direction générale autonome en mai 2017, l’Agence Nationale des Aires Protégées (ANAP) a pour fonctions la conservation de la nature dans les aires protégées in situ et ex situ en Haïti. Ce décret-cadre du ministère de l’Environnement, portant création de l’ANAP, confie à cette nouvelle institution les missions suivantes : la gestion et la coordination du Système National des Aires Protégées (SNAP) sur tout le territoire national, le droit d’assurer la gestion de l’environnement et la régulation de la conduite des citoyens et citoyennes pour le développement durable.
Ayant entre autres visions d’assurer la conservation et la gestion efficace et durable de la biodiversité dans tout le réseau national d’aires protégées de la République d’Haïti en coopération avec les collectivités territoriales, les communautés locales et les autres partenaires pour le bien-être de la population haïtienne, cette direction du ministère de l’Environnement renferme actuellement plusieurs unités de gestion comprenant, entre autres, un directeur, un responsable de suivi écologique, un responsable de surveillance environnementale, des gardes environnementaux et un personnel de soutien.
Sécurisées, dans les normes, par la Brigade de Surveillance des Aires Protégées (BSAP), ces portions du territoire national confrontent de nombreuses menaces tant sur le plan environnemental que politique. Abritant une biodiversité exceptionnellement riche, les aires protégées d’Haïti font face à de graves menaces à toutes les échelles qui tendent déjà vers un déclin constant de la biodiversité en raison des actions humaines indéniables qui ont eu lieu au cours des décennies en Haïti. Outre le laxisme de l’État en matière de maintenance et de protection de l’environnement, argumente Prénor Coudo, un des responsables de cette direction du MDE, le déboisement et l’exploitation à outrance de nos ressources terrestres et maritimes constituent entre autres le lot de problèmes qui fragilisent nos aires protégées. Le responsable estime nécessaire une bonne gouvernance environnementale impliquant la participation de l’Etat et des citoyens en vue de lutter contre la dégradation de l’environnement pour une bonne qualité de vie.
« Pour sauver nos écosystèmes, tout le monde, à son niveau, devrait se lancer dans une campagne d’intendance non seulement pour nous-mêmes, mais également pour le bien-être des générations futures », plaide M. Coudo. Il estime par ailleurs que la biodiversité en Haïti est soumise à une pression immense et constante et dont la situation représente un défi majeur pour notre pays en termes de respect des engagements pris envers la communauté internationale, en particulier de la réalisation future des objectifs de développement durable.
L’ANAP, dans le but d’adapter nos aires protégées aux changements climatiques, selon les dires de Prénor Coudo, met en place des dispositions nécessaires afin de renforcer les structures de gestion des unités d’aires protégées en priorisant la valorisation des éléments de conservation de la biodiversité. « Nous redoublons d’efforts en vue d’élaborer des plans de gestion capables d’assurer un suivi écologique susceptible de sauvegarder notre biodiversité », martèle-t-il d’une voix ferme et catégorique, soulignant que l’ANAP collabore avec des organismes œuvrant dans le domaine des aires protégées, notamment des Organisations Non Gouvernementales (ONG) en vue de faire de cette institution un instrument incontournable dans la gestion durable de l’environnement du pays au point de vue écologique, économique, social et culturel.
Entre le dire et le faire
Par ailleurs, l’éjection de Jeantel Joseph à la tête de l’ANAP, le 23 janvier 2024, marque le début d’un bras de fer entre le gouvernement actuel et la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP). Dans un communiqué en date du 29 janvier 2024, le gouvernement demande aux employés et aux supplétifs de l’ANAP de maintenir leur position dans les aires protégées où ils sont affectés.
Cette tournure politique amène à la tête de l’ANAP, une nouvelle commission dont l’objectif est d’évaluer cette direction du MDE, de faire des recommandations au gouvernement sur les réformes à adopter en vue d’améliorer l’efficacité et la légalité des interventions de ladite institution en faveur de la protection de l’environnement.
En 2021, la BSAP n’avait que 121 membres officiellement enregistrés au ministère de l’Environnement pour tout le territoire, a affirmé un ancien ministre de l’Environnement contacté par Le Nouvelliste. « Cependant, officieusement à cette époque, il y avait déjà près de 4 000 personnes qui portaient l’uniforme de la BSAP et qui étaient armés », a-t-il ajouté.
Durant l’année 2021, lors d’une intervention policière à Canaan, bidonville situé au nord de Port-au-Prince, plusieurs individus présentés comme des agents de la BSAP ont été appréhendés. Par la suite, le commissaire du gouvernement de la Croix-des-Bouquets d’alors, Edler Guillaume, les a qualifiés de « terroristes », avait promis de les traquer. En 2022, certains d’entre eux ont été désarmés, puis arrêtés lors du passage du cortège présidentiel à Ferrier, dans le département Nord.
La mauvaise réputation de la BSAP dans l’opinion publique avait conduit le ministère de l’Environnement, dans un communiqué de presse daté de février 2022, à l’annulation de tous les agents. Le communiqué jugeait leurs comportements « attentatoires à la paix et à la sécurité publiques ».
La surveillance des aires protégées dans tout ça ?
Etant une structure de l’ANAP, une direction générale autonome au ministère de l’Environnement, la Brigade de sécurité des aires protégées (BSAP), depuis plusieurs années, sort de son champ d’action de protection des aires protégées pour se transformer en un groupe armé au service de politiques.
Dans un texte rendu public le 24 janvier 2024, Joseph Ronald Toussaint, l’ex-ministre de l’Environnement sous l’administration de Martelly, a qualifié de « patate chaude » la question de la BSAP. Selon le spécialiste en environnement, l’événement récent, soldé par le renvoi de Jeantel Joseph est une affaire politique : « C’est une mesure éminemment politique de toute évidence », a écrit l’agronome.
« La version actuelle de la BSAP qui supplante, aux yeux de l’opinion publique haïtienne, le Corps de Surveillance Environnementale (CSE), remonte, en réalité, sous le feu président Jovenel Moïse entre 2017-2018 suite à un arrêté présidentiel nommant Monsieur Jeantel Joseph, directeur général de l’ANAP, et une circulaire du MDE prise par le ministre de l’Environnement d’alors, Monsieur Pierre Simon Georges », note Joseph Ronald Toussaint.
Le spécialiste en environnement croit dure comme fer que « toute réforme sérieuse de la surveillance environnementale doit être raisonnée dans le contexte d’un Corps de Surveillance environnementale prévu par les provisions du Décret Cadre de 2006 ». Il opte pour une nouvelle architecture du Corps de Surveillance Environnemental (CSE), qui, selon lui, devrait repartir en plusieurs branches : une Brigade des Aires Protégées Terrestres et Maritimes, une Brigade de Surveillance de l’espace urbain et du littoral, une Brigade d’appui au relèvement des catastrophes et une Brigade de protection du cadre de vie en milieu rural.
Passée d’une Brigade de Surveillance et de gestion de l’environnement à une structure politisée, la BSAP, comptant 100 agents en 2018, est passée aujourd’hui à un effectif que même le gouvernement ignore. Les membres de ladite Brigade, visiblement bien équipés et dotés d’armes de guerre, circulent un peu partout sur le territoire national et échappent à tout contrôle.
Entre les défis politiques et climatiques, les aires protégées en Haïti font face à de nombreuses éventualités, nécessitant l’obligation de l’ANAP d’agir en urgence dans l’objectif de pallier la situation environnementale qui se dégrade progressivement. Les exigences en matière environnementale sont énormes et les moyens d’y remédier sont modiques. Prioriser les ressources naturelles, animales et végétales, maritimes et terrestres devient une obligation, les utiliser comme instruments de développement durable, c’en est une autre.
Selon le 6e rapport de la Convention nationale biologique sur la Biodiversité (CBB) de 2019, Haïti figure parmi les pays dont les espèces animales et végétales sont d’une extrême fragilité, en raison des actions néfastes des humains sur l’environnement. Lequel rapport dénombre 28 espèces de plantes, 12 espèces d’oiseaux, 46 espèces d’amphibiens, 15 espèces de poissons, 10 espèces de reptiles et de mammifères : des valeurs économiques et culturelles certaines, favorisant la survie de la nature, sont menacés et sont en voie de disparition si rien n’est fait dans l’urgence. De quoi justifier la présence d’un corps de surveillance des aires protégées qui reste dans ses limites.
Woody Duffault
Ce reportage est financé par ACLEDD grâce au support de FOKAL.