Source de revenus de plusieurs milliers de familles haïtiennes et porte-étendard d’Haïti dans la production d’huile essentielle de qualité supérieure destinée à l’industrie mondiale de la parfumerie, le vétiver ne fait cependant pas l’unanimité surtout chez les naturalistes et les écologistes. Ces derniers lui prêtent des vertus de prédateur de l’environnement terrestre et marin. Compte tenu de l’importance de la plante pour Haïti, Haïti Climat a promené ses projecteurs sur le vétiver en s’adressant à quelques acteurs du secteur pour plus de lumière sur la question.
Dans les collines verdoyantes de Dorval, 3e Section de St-Jean du Sud, l’équipe de « Haïti Climat » a fait la connaissance de Gerson Saintilus, le CASEC de la section. Propriétaire de plantation de vétiver et président de la Coopérative des planteurs de vétiver de Débouchette (COOPVED) 2e section de St-Jean du Sud.
Au cours de sa rencontre avec Haïti-Climat, Gerson Saintilus a laissé entendre qu’avant il ne connaissait pas le vétiver. « C’est mon intégration dans la coopérative qui m’a conduit au vétiver et je peux dire que cette culture est une aubaine pour les paysans du Sud et pour Haïti », dit le producteur Saintilus.
Pour lui qui est à la fois cultivateur, éleveur comme pour tous les autres producteurs du Sud, le vétiver est la culture la plus rentable et qui réclame le moins d’attention de la part du cultivateur. « On le met juste en terre et on attend la récolte après une période de 12 à 15 mois. Pas d’eau, pas de sarclage, il résiste à l’inondation et au soleil », explique le Casec qui souligne que la COOPVED a beaucoup aidé les cultivateurs dans la manière de cultiver le vétiver.
Créée sous l’instigation de l’usine Frager de l’agronome Pierre Léger avec le support de la Firmenich, entreprise familiale suisse de création de fragrances et d’arômes et la Coopération suisse, la COOPVED compte 513 membres couvrant 3 sections communales (Doval, Debouchette, Masson). Grace à l’encadrement de ces 3 institutions, cette coopérative a été certifiée pour produire au profit de l’usine Frager un vétiver bio sans danger pour l’environnement.
« C’est la mauvaise façon de récolter les racines qui peuvent causer des ennuis à la terre. Il faut protéger la terre après chaque récolte afin d’éviter que l’eau de pluie ne draine la terre arable vers la mer et provoquer l’érosion», conseille M. Saintilus.
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Il partage aussi l’idée que la terre qui produit le vétiver est un peu réfractaire aux autres cultures vivrières. « Après des années passées à produire du vétiver, la terre demande à être reposée pendant un certain temps avant d’accumuler la quantité de fumiers et de substances nécessaires à la production d’autres cultures», explique le responsable de COOPVED un tantinet critique envers le ministère de l’Environnement et le ministère de l’Agriculture qui, selon lui, ne font pas grand-chose pour aider les paysans à renforcer l’agriculture dans la région.
A titre d’exemple, il raconte que « le MARNDR après le passage de Matthew avait distribué 75 tonnes de plan de pois dans le Sud. Dorval et les 2 autres sections avoisinantes n’ont pas reçu une marmite. Face à cette situation, et vu l’accalmie économique provoquée par la Covid-19, les paysans peuvent se retrouver devant 2 choix périlleux pour l’environnement : soit d’abattre des arbres pour produire du charbon, soit de produire du vétiver et réduire les possibilités de la région de produire à des fins de consommation alimentaires ».
Romane Chery, contrôleur interne au sein de la COOPVED a abondé dans le même sens que M. Saintilus, à propos de l’importance du vétiver pour les paysans producteurs et de la négligence de l’Etat par rapport aux producteurs. Ces derniers, dit-il, n’ont pas pu trouver au sein de la communauté l’encadrement qu’ils auraient besoin.
« Avec le support de Agry Supply, nous avons bénéficié d’une école communautaire transformée aujourd’hui en école nationale. Le vétiver a vraiment le potentiel pour améliorer les conditions de vie des habitants. Cependant, la crise de la Covid-19 désavantage grandement les producteurs », a confié Romane Chery qui se plaint de l’absence d’un vrai marché du vétiver dans la région.
« Dans certaines localités où le vétiver abonde, il n’y a pas de marché. Ce qui porte les producteurs de cette plante à vivre misérablement. Quand la chance tourne et que ces producteurs arrivent à écouler quelques ballots chez un spéculateur, ils en profitent pour acheter du bétail qu’ils revendent quand le vétiver ne trouve plus de preneurs. Une telle situation les rend très vulnérables » s’indigne le contrôleur de la COOPVED qui réclame plus d’encadrement pour les producteurs.
La distillerie Oil Sud
Jean Dunès Gustave est entrepreneur, distillateur, propriétaire de plantation de vétiver et producteur d’huiles de vétiver. Son usine Oil Sud, basée à Camp-Perrin, fonctionne depuis une dizaine d’années et ne produit pas encore pour le marché international. Le peu qu’elle produit est vendu sur le marché local à un exportateur qui dessert le marché européen et nord-américain ou à des amis à l’étranger de passage dans le pays qui veulent repartir avec un ou deux gallons d’huile.
« Produire en quantité suffisante pour l’international exige un coût et une machinerie complexe que nous ne disposons pas pour le moment », confie l’entrepreneur Jean Dunès Gustave. En attendant, l’entrepreneur voudrait faire fructifier une partie de son huile qu’il offre gratuitement à une clientèle locale qui la lui réclame en petite quantité pour usages divers.
« Certaines gens utilisent l’huile de vétiver pour des massages corporels, pour le soin des cheveux ou à des fins de protection contre les mauvais sorts », informe l’entrepreneur. Pour cela, il envisage de se faire fabriquer de petits flacons capables de contenir le produit en quantité restreinte et le rendre disponible à coût minimal pour cette clientèle qui n’aurait plus à le lui solliciter gratuitement.
Questionné sur la nuisance que peut représenter le vétiver pour les espaces agricoles, M. Gustave a minimisé ce problème en arguant que le vétiver n’a pas besoin de terre grasse pour se développer. « Certaines surfaces, comme celles de la plaine de Laurent par exemple, ne peuvent produire autre chose que du vétiver. Par contre, dans une zone comme Levy (Camp-Perrin), qui contiennent des terres fertiles, on ne va pas trouver des plantations de vétiver ».
« Je ne crois pas que ça soit un gros problème » estime M. Gustave en insistant sur le fait que dans les superficies montagneuses où l’on cultive le vétiver, il est nécessaire qu’on entreprenne des actions de protection du sol pour conserver la terre arable et empêcher que la terre ne s’effrite. Des démarches de ce genre sont entreprises constamment au niveau des coopératives évoluant dans le vétiver ».
A ce sujet, l’entrepreneur Gustave a pointé du doigt l’État qui laisse à des particuliers une charge qui lui incombe. « Dans certaines plantations de vétiver, on constate que les producteurs utilisent des rampes pour contrer l’érosion. La sensibilisation par rapport à la protection du sol est plus l’affaire du ministère de l’Environnement que des distillateurs-producteurs », déplore-t-il.
Aujourd’hui, n’importe quel producteur peut déraciner son vétiver quand il veut, même après six mois, parce que l’État est absent. Le ministère de l’Agriculture devrait exercer toujours un contrôle sur l’exploitation des racines », estime le gérant de Oïl Sud qui pense que le vétiver mériterait beaucoup plus respect et d’attention de la part des dirigeants du pays.
« C’est un secteur qui valorise Haïti au niveau mondial. Dommage que les responsables ne se soucient pas de faire d’Haïti le pays respecté qu’il mérite d’être » se désole le distillateur affirmant que « pendant des années, aucune autre plante n’a été capable de générer le niveau de revenus que le vétiver a rapporté aux producteurs.
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Louis Gary Cyprien