Dans la localité de Berger, située dans la 5ᵉ section communale de Saint-Louis du Nord, un drame silencieux se joue sous les assauts incessants de la mer. L’unique cimetière de la communauté, qui s’étendait autrefois sur plusieurs hectares, disparaît progressivement, emporté par l’érosion côtière. Selon les témoignages des habitants, seules une vingtaine de tombes subsistent aujourd’hui, les autres ayant été englouties par les vagues, plongeant la communauté dans une profonde détresse.
Jeanty Brejis, un résident de Berger, décrit avec amertume la situation : « Presque toutes les inscriptions sur les tombes restantes indiquent ‘enterré en 2023, 2024 ou 2025’. À chaque nouveau décès, nous devons retirer un cercueil pour faire place à un autre, parfois en seulement une semaine ou un mois. » Cette pratique, imposée par la nécessité, illustre l’instabilité du lieu, où même les défunts ne peuvent reposer en paix.
Madame Labranche Dalcenord, âgée de 85 ans, témoigne, les larmes aux yeux : « La mer a déjà emporté les tombes de mon mari, de ma mère, de mon père et de trois de mes frères et sœurs. » Malgré cette douleur, elle conserve un espoir, attendant une intervention de l’État pour relocaliser les restes des défunts et construire un nouveau cimetière. Cet optimisme n’est toutefois pas partagé par tous. Dieuvil, père de deux enfants, exprime son indignation : « On entasse les morts les uns sur les autres, et on retire des corps pour nourrir les chiens. » Il dénonce également une pratique révoltante : les autorités locales exigeraient 1 000 gourdes pour le droit d’inhumer une personne, souvent pour quelques jours seulement, ce qui scandalise les habitants.
L’agronome Nelfrard Nito explique les causes de cette tragédie : « Le cimetière était mal situé, entre la mer et les mangroves. Mais la situation s’est aggravée après les travaux d’enrochement pour construire un débarcadère à Bas de Saint-Anne. À chaque marée montante, une partie du cimetière est engloutie. » Selon lui, la délocalisation du cimetière est la seule solution viable. Pour madame Labranche, née et élevée dans la zone, cette catastrophe serait « l’œuvre de Dieu ». Cependant, pour beaucoup, comme l’agronome Nito, les causes sont humaines et directement liées aux impacts du réchauffement climatique.
Le département du Nord-Ouest d’Haïti, particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique, subit de plein fouet ces bouleversements. Les inondations dévastatrices de décembre 2024 à Port-de-Paix et l’avancée de la mer dans des communes comme Anse-à-Foleur contraignent de nombreux habitants à abandonner leurs terres et leurs foyers.
Face à cette crise, l’agronome Nelfrard Nito affirme collaborer avec le vice-délégué de l’arrondissement de Saint-Louis du Nord, M. Bodler Fleuremy. Un projet de délocalisation du cimetière a été élaboré, mais aucun bailleur de fonds n’a encore répondu à l’appel. En attendant, pour les défunts de Berger, chaque jour compte : reposer en paix est devenu un véritable défi. La communauté lance un appel urgent aux autorités pour une intervention rapide afin de protéger les côtes, relocaliser le cimetière et préserver la dignité des défunts.
Wilgens Devilas
