Dans l’histoire d’Haïti, la sécheresse a toujours été présente, mais elle s’est imposée avec force au cours des dernières décennies en tant qu’élément structurel du climat du pays. La sécheresse qui s’accentue en Haïti a un impact considérable sur la vie quotidienne et l’économie des régions telles que La Visite, située dans le département du Sud-Est. Cette contrée traverserait actuellement l’épisode sec le plus long et le plus grave de son histoire. Entre changements climatiques, déforestation massive et détérioration des sols, les habitants font face à des difficultés pour accéder à l’eau destinée à la consommation se faisant de plus en plus rare.
« La région de La Visite a été frappée par la sécheresse au cours des dix dernières années. Cependant, au fil des ans, elle devient plus fréquente et plus intense. Aujourd’hui, la majorité des sources d’eau de la zone ont disparu », regrette Exequiel Seme, responsable technique d’Inisyativ Konbit dlo rejyon Lavizit , une association lancée dans l’objectif de trouver une solution à la crise de l’eau à laquelle fait face cette localité située au sud-est d’Haïti. Cette sécheresse, qui survient généralement d’octobre à avril, est selon lui due au dérèglement climatique, à la dégradation de l’environnement et à la pratique intensive du déboisement par les habitants de la zone.
Une situation qui n’est pas sans conséquence sur les populations de la zone. Il affecte de plein fouet l’accès à l’eau potable, l’agriculture, la production alimentaire, l’élevage, la santé et l’économie des habitants. « Durant la période de sécheresse, nos volailles meurent. Nos cultures maraîchères sont perdues et nos semences ne poussent pas correctement. « Parfois, nous ne parvenons même pas à récolter suffisamment pour nous nourrir ou vendre dans d’autres régions », déplore Eclius Fritzner, agriculteur âgé de 53 ans.
En période de sécheresse, les habitants doivent parcourir plus de quatre kilomètres pour trouver de l’eau destinée à la consommation. Ceux qui le peuvent financièrement paient des chauffeurs de motocyclette pour leur apporter 5 gallons d’eau (19 litres) pour un coût exorbitant entre 250 et 400 gourdes (1,89 à 3,03 dollars américains).
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ÉPINGLÉ
Les sécheresses récentes en Haïti, comme celles de 2017, 2018 et 2019 attribuées au phénomène El Niño, sont des exemples concrets d’impacts du changement climatique, à en croire des experts. Le spécialiste en changement climatique, le Dr David Noncent, explique que cette sécheresse pourrait être liée à une augmentation de la température, entraînant une évaporation accrue et affectant l’humidité du sol et de l’air. Il ajoute que des changements dans les régimes de précipitations pourraient également jouer un rôle.
Le changement climatique, combiné à d’autres facteurs comme le déboisement intensif et la pollution, amplifie les effets de la sécheresse dans la région. « Les arbres et les plantes contribuent à réguler l’humidité atmosphérique par l’évapotranspiration et à maintenir le cycle de l’eau local. La déforestation entraîne une perte de cette couverture végétale, intensifiant ainsi l’évaporation et affectant la régularité des précipitations », explique le Dr en Environnement. Le changement climatique modifie les régimes de précipitations, réduisant la recharge des nappes phréatiques et des cours d’eau, a-t-il ajouté.
Intervenant à l’émission « Haïti Climat » sur les ondes de la Radio Magik9 en avril 2024, l’ancien ministre haïtien de l’Environnement, Joseph Ronald Toussaint, a fait savoir que la sécheresse est due à une combinaison de facteurs, dont le changement climatique. « Cet état de sécheresse qui agit sur l’écosystème n’est pas uniquement l’absence de pluie, il s’agit d’un effet combiné de la dégradation des terres, de l’érosion et du changement climatique », a souligné l’ex-ministre, relevant que la sécheresse en tant que risque ne reçoit pas l’attention nécessaire de la part des autorités haïtiennes.
PALLIER LES EFFETS ?
Au cours des périodes de sécheresse, la forêt de La Visite devient plus vulnérable aux abattages d’arbres, car les habitants cherchent des terres moins arides à cultiver. Face à cette situation, l’organisation « Konbit dlo rejyon Lavizit » se donne comme objectif de pallier les effets de la sécheresse en permettant à la population d’accéder à de l’eau en quantité et en qualité suffisantes. Une initiative devant être accompagnée d’actions concrètes telles que la protection et la régénération de la couverture végétale de la forêt, selon Exequiel Seme, responsable au sein de l’organisation. L’ingénieur civil souligne la nécessité d’une action concertée pour préserver les sources d’eau et plaide pour la sensibilisation et l’éducation environnementale des habitants.
Comme dans d’autres régions du pays, la population de La Visite dépend fortement de la pluie en raison de l’existence de peu de terres irriguées. « Si la pluie ne tombe pas, nous sommes désespérés. Je crains que cette sécheresse persiste et que nous mourions tous de soif », se plaint Dimy Merisier, 53 ans. Elle relève une augmentation significative du prix de l’eau, passant de 2 petits sachets pour cinq gourdes à 25 gourdes. Ce paysan souligne le besoin urgent d’une intervention étatique, notamment en vue de l’installation d’un système d’adduction d’eau potable dans la région.
Il existe une source d’eau à Kadesan qui, selon une évaluation de la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA), pourrait fournir suffisamment d’eau à la population, mais cette ressource n’est malheureusement pas exploitée à cette fin, rapporte le responsable du « Konbit ».
Pour sa part, le spécialiste de l’environnement Joseph Ronald Toussaint recommande que le gouvernement adopte une politique de gestion des risques de sécheresse avec un accent sur la gestion des bassins versants. « Il est nécessaire d’établir des stratégies de lutte contre la sécheresse et de mettre en place des systèmes d’alerte précoce afin de suivre son évolution, en se concentrant sur la gestion des bassins versants », a souligné l’ex-ministre.
Bien qu’il existe des solutions d’adaptation aux périodes de sécheresse exacerbées par le changement climatique, la population de La Visite reste largement dépourvue d’assistance. Exequiel Seme déplore l’absence d’intervention de l’État. « Dans la région, il semble que l’État ignore même si nous existons. », a-t-il laissé entendre. En revanche, le Dr David Noncent suggère des solutions possibles à court et à long terme pour atténuer les effets sur la vie de la population de la région. « Informer les communautés sur les pratiques d’utilisation durable des ressources naturelles, préserver et restaurer les écosystèmes naturels tels que les forêts et les zones humides et développer et renforcer les infrastructures », conclut-il.
Kattia Jean François
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