Biodiversité

Conflit foncier autour du Jardin botanique des Cayes : la biodiversité en péril

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Le Jardin botanique des Cayes, reconnu pour son rôle scientifique et écologique, traverse aujourd’hui une crise majeure liée au statut du terrain qui l’abrite.

Depuis 2003, l’espace est installé sur une parcelle louée par la famille Paloma. Bien que Bruno Paloma soit considéré comme le propriétaire légal, ce terrain reste un bien familial partagé.

En 2018, des discussions avaient été entamées pour que l’État haïtien, par l’intermédiaire du ministère de l’Environnement, en fasse l’acquisition au prix de 150 000 dollars américains par carreau. Mais le processus est resté bloqué, les propriétaires n’ayant jamais fourni les pièces nécessaires pour finaliser le dossier.

Le 15 juillet 2025, le tribunal des Cayes a émis une sommation à la demande de Mme Paloma, exigeant l’évacuation du site. Huit jours plus tard, la police et les autorités judiciaires ont posé des scellés, paralysant les activités du Jardin. Durant près de trois semaines, les chercheurs n’ont pas pu y accéder. Ce n’est qu’après l’intervention de leur avocat auprès du doyen du tribunal, qui ignorait qu’il s’agissait du Jardin botanique, que les scellés ont été levés, d’après ce qu’a fait savoir à notre rédaction William Cinéa, fondateur du Jardin botanique des Cayes (JBC).

« Cependant, les menaces persistent. Mme Paloma est revenue sur les lieux avec des ouvriers, a fait couper des arbres, remplacer les barrières et même acheminer des matériaux pour la construction d’un hôtel sur l’espace. Plusieurs espèces rares et endémiques ont été détruites lors de ces interventions. Alerté, le ministère de l’Environnement a été saisi du dossier », explique l’agronome.

Le Jardin botanique des Cayes n’est pas qu’un simple espace de promenade. C’est une véritable institution scientifique consacrée à l’étude et à la préservation de la flore haïtienne. Sa mission va bien au-delà de l’esthétique : il identifie les plantes médicinales, collecte et diffuse des informations utiles à la population, étudie les espèces endémiques propres au pays, contribue à la restauration des écosystèmes et recense les plantes comestibles pour orienter la sécurité alimentaire. Depuis plus d’une décennie, l’équipe a reproduit et sauvegardé plusieurs espèces rares, dont une plante découverte à l’île de la Tortue, baptisée Colviatoltunensis, aujourd’hui cultivée dans le Jardin.

La disparition de cet espace aurait de graves conséquences pour la biodiversité et l’avenir de la recherche en Haïti. Le statut précaire du terrain empêche la construction d’infrastructures essentielles comme des laboratoires, des herbiers ou des serres. À l’inverse, si l’État parvenait à acquérir ce terrain, le Jardin pourrait devenir un modèle national de conservation et servir de référence pour la création d’autres jardins botaniques dans le pays.

Face à cette crise, des démarches ont déjà été entreprises. Des échanges ont eu lieu avec le ministère de l’Environnement, l’ingénieur Moïse Fils Jean Pierre, qui s’est montré attentif au dossier. Parallèlement, des discussions sont en cours avec des universités du Sud, notamment l’UNDH, pour impliquer le milieu académique dans la protection et la valorisation du site. D’autres secteurs devraient bientôt être sollicités afin de mettre en place une coordination nationale dédiée à la sauvegarde du Jardin.

D’après M. William Cinéa, la société civile et la communauté scientifique suivent de près l’évolution de la situation. Plusieurs ONG, des chercheurs haïtiens et étrangers, des étudiants et des influenceurs ont déjà exprimé leur soutien. Le mot d’ordre « Sauvons le Jardin botanique des Cayes » circule sur les réseaux sociaux, et des appels à pétition se multiplient.

Pour l’agronome William Cinéa, la solution réside dans la mise en place d’un comité réunissant le secteur privé, le ministère de l’Environnement, le ministère de la Santé publique, le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Éducation et les universités de la région. Ce comité aurait pour mission de protéger les espèces et les écosystèmes, de valoriser les plantes médicinales, d’impliquer les jeunes générations et de renforcer la sécurité alimentaire.

Il insiste également sur l’importance d’intégrer la société civile et de tisser des partenariats internationaux avec d’autres jardins botaniques et universités afin de mobiliser des ressources humaines, techniques et financières.

« Nous espérons que toutes les parties concernées parviendront à un accord avec la famille Paloma pour l’achat définitif du terrain », déclare-t-il.

« Il est urgent de mettre en place des programmes de conservation et de valorisation pour redonner à ce site son importance scientifique, écologique et patrimoniale. »

Jean Rony Poito PETIT FRÈRE0

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